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Excès de langage

Trois chiffres pour l’urgence et une cinquantaine de poèmes pour la sublimation complète des sentiments et des inquiétudes: Daniel Leblanc-Poirier offre un quatrième recueil qui se lit avec impétuosité.

Poésie

Trois chiffres pour l’urgence et une cinquantaine de poèmes pour la sublimation complète des sentiments et des inquiétudes: Daniel Leblanc-Poirier offre un quatrième recueil qui se lit avec impétuosité.

Depuis le prix Félix-Leclerc couronnant son premier recueil, La lune n’aura pas de chandelier (L’Hexagone, 2007), dix ans ont passé mais le poète n’a point perdu de son inventivité. Après deux livres à L’Écrou, il revient à la maison avec un texte fulgurant, tanguant d’un extrême à l’autre, sans modération. Ici, le poème est une longue route déliquescente pavée d’abandon, et l’écrivain y roule pleins gaz. Reste à savoir si le lecteur pourra trouver un sens à la fuite ou si le poète lui-même est en train de prouver que le recueil est plat et que si on arrive à sa fin, on tombe dans le vide.

Mouvement incessant

Rapidement, Leblanc-Poirier pose questions et constats: «par quel côté prendre le problème?/le ciel s’amenuise et le vide est un lieu qui m’espionne». Ce vide est au détour de chaque poème, derrière chaque page. C’est celui d’une vie sans l’autre, mais jamais le poète n’entre chaussé de clichés, il le fait avec esprit et trivialité, maniant un surréalisme rafraîchissant: «[…] j’ai besoin de toi comme/on fait le tour d’une question», même si un peu plus tard «tu ris car tu penses/que je parle des sour patch/et cela me confirme/que tu es folle».

L’amour et le désir se croisent et s’enfoncent dans le recueil autant que dans le fantasme. L’auteur, lui, parvient à semer quelques morceaux de bravoure d’une grande beauté, des images tout aussi inattendues que saisissantes: «[…] tu renverses la tête/comme on ouvre un zippo», alors qu’un peu plus loin il «crie par-dessus les mots qui s’échappent/de ton établissement/où se trouve une crèche avec tes jambes/et différentes saveurs». Tout dans le recueil est toujours en mouvement, la question demeure là, d’une certaine façon: quand est-ce qu’un je et un tu orbitant du futur au conditionnel forment-ils un nous fixe, ancré dans le présent. Mais soyez sans crainte, jamais Daniel Leblanc-Poirier ne sombre dans une soporifique étude sémantique des pronoms personnels; il n’y a que le critique pour risquer cet ennui. Le poète, lui, s’éclate sans cesse.

j’ai peur aux invalidités du sommeil
en cas de feux d’artifice
les drogues de caramel feront la grève
dans la sodomie des aurores

 

les quais attendront que les saumons de brume
jouent d’une guitare aux épaules infiltrées d’eau
les pistons du vitriol ce serait:

 

je sais que tu fourres des prostitués
dans le dos de la joie

Filiation poétique

À deux reprises, le poète laisse les vers à d’autres, d’abord à Tania Langlais, puis à Federico García Lorca. Il le fait sans appel à l’autorité, dans une intertextualité qui va de soi, un besoin intrinsèque que ces poèmes-ci se retrouvent là, à cet instant bien précis. Dans un recueil prompt, sans aucune partie ou section, Leblanc-Poirier semble désirer tout de même l’exergue, démontrant d’une certaine façon que cette fulgurance des êtres ne possède ni territoire circonscrit ni époque figée.

On se plaît à redécouvrir un Leblanc-Poirier au sommet de sa forme, lui dont la fulgurance semble inébranlable depuis La lune n’aura pas de chandelier. Si le néo-surréalisme semble tout sauf un vent contraire en poésie québécoise depuis quelques années, Daniel Leblanc-Poirier a été l’un des premiers à y insuffler un côté pop qui n’est pas pour déplaire et qui, depuis, a fait des petits: on n’a qu’à penser aux récents ouvrages de Baron Marc-André Lévesque (Chasse aux licornes, l’Écrou, 2015) et de Jean-Christophe Réhel (Les volcans sentent la coconut, Del Busso, 2016). Un amalgame de poèmes où les chutes font tant sourire qu’elles parviennent à tordre le ventre, comme dans le recueil de Leblanc-Ploirier «au moment où on croit/en la cohérence du geste/tu défais tes cheveux/comme un solo de violoncelle».

Si l’excès se résorbe en fin de parcours, c’est peut-être que l’écrivain cherche l’enracinement: «svp ne m’oublie pas/je suis jeune et en couleurs/dans les eaux verticales». Il va même jusqu’à oser: «j’ai même l’idée de te marier/et d’inviter mes gênes/aux compétitions d’enfantage». Quand le lecteur termine sa course folle, le poète, lui, signe ses derniers vers avec une grandiloquence qu’on ne lui connaissait pas encore. Force est d’admettre qu’on ne peut faire autre chose que de le croire lorsqu’il nous dit être «aigu comme le cri dangereux d’un incendie». ♦

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Daniel Leblanc-Poirier
Montréal, l'Hexagone
2017, 64 p., 19.95 $