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Écrire à voix haute

On ne peut pas lire Ce qui brûle bien, de Stéphanie Pelletier, sans avoir envie d’entendre l’autrice interpréter elle-même ses contes, tellement son écriture est portée, façonnée même, par sa voix.

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On ne peut pas lire Ce qui brûle bien, de Stéphanie Pelletier, sans avoir envie d’entendre l’autrice interpréter elle-même ses contes, tellement son écriture est portée, façonnée même, par sa voix.

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Certains livres restent empreints de la solitude et du silence dans lesquels ils ont été créés. Ce n’est pas le cas du recueil de Stéphanie Pelletier. Comme les textes qui le composent ont d’abord été produits pour la scène, et donc pour un auditoire, les lecteur·rices établissent rapidement un lien avec l’autrice, d’autant plus qu’elle écrit surtout au «je». L’oralité de ses contes renforce ce sentiment d’intimité.

La parole, un acte de résistance

Pelletier annonce clairement ses intentions dans son premier texte, «Seuil»: «Chuchoter des choses belles à ceux qui tendront l’oreille, / Leur verser du doux qui crépite».

Il y a effectivement des «choses belles» dans Ce qui brûle bien, en particulier un style, qui a l’immense qualité de ne pas s’alourdir de clichés et de transformer directement les émotions en mots. Je doute toutefois que ces contes puissent être chuchotés.

«Périnée», texte dans lequel la narratrice raconte le douloureux travail qui a précédé la naissance de son fils – avec, en contrepoint, la vie sur quatre saisons et un autre travail, douloureux lui aussi, celui de la terre –, atteint une intensité qui s’exprimerait difficilement à voix basse.

Ce commentaire vaut également pour «Peau d’vache»: Julie reçoit régulièrement des «volées normales» et des «volées de jours de fête», comme lorsque son mari lui a cassé un bras, qu’elle a laissé guérir «tout croche», parce que le médecin commençait à trouver qu’elle prenait «des débarques un peu trop souvent».

«Reposez-vous», dont le titre introduit un humour grinçant, finit par dévoiler l’immense détresse d’un fermier épuisé et anxieux, dont la femme «a répertorié toutes les poutres […] assez solides pour pendre un homme».

«Dans ton oreille», un conte qui s’ouvre sur des vacances – au cours desquelles la narratrice invente des histoires pour son petit garçon –, se termine par une réflexion sur l’état catastrophique de la planète et la rébellion imaginée par les enfants, qui lanceront «sur nous [leurs] armées déferlantes». La narratrice conclut: «Si nous pouvons au moins servir de compost pour votre nouveau monde tout n’est pas perdu.»

Comment chuchoter des textes qui ont tant à dénoncer?

De la scène au livre

Ce qui brûle bien est un livre balado, coproduit par Planète rebelle et La Quadrature. J’ai d’abord lu le recueil, puis écouté le balado, puis relu l’ouvrage. Cette fois, la voix de l’écrivaine a accompagné ma lecture et m’a fait entendre les contes différemment, avec un plaisir accru.

Pourtant, je me questionne sur les variations des niveaux de langue à l’intérieur d’un même texte, qui me paraissent aléatoires. À certains endroits, vocabulaire québécois «pure laine» («stallé», «bouette», «s’accoter»,etc.), contraction des pronoms («yé» pour «il est», «y’a» pour «il y a»); à d’autres, constructions syntaxiques selon les règles, négations complètes, pronoms écrits et prononcés, disparition du français québécois.

C’est d’autant plus curieux que le passage le plus réussi du recueil est rédigé dans un langage familier. Je parle du monologue, dans «Annabelle et la bête», d’une des deux Annabelle (elles vivent dans des réalités parallèles), qui «s’est encastrée dans un cervidé» après un accident de voiture: «C’est fou, on dirait que tu sens le camping! C’est pas que tu pues là, c’est que tu sens le bois. […] C’est-tu ton cœur qui bat sur mon ventre? C’est-tu ton haleine qui souffle chaud dans ma tête?» Seul hic entrecoupant ce soliloque: l’autre Annabelle, qui a renversé un pot d’olives dans le frigo, jure abondamment pendant qu’elle nettoie l’huile répandue. Sept séries de sacres particulièrement alambiquées ralentissent la lecture et, au bout du compte, desservent le texte. Elles sonnent mieux à l’oral parce qu’on n’a pas à décortiquer syllabe par syllabe des formules comme «Viargénie de saint-sicroche d’ostensoir à pédales».

Je dirais donc que Ce qui brûle bien est incomplet sans le balado, entre autres parce que le passage à l’écrit dépouille le conte d’éléments importants qui lui donnent sa force: la voix et le ton de l’écrivaine, ses mimiques et sa façon de communiquer avec l’auditoire. Non pas que le balado rende tout cela, mais il unit les mots à la voix et à l’émotion qui les ont fait naître.

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Stéphanie Pelletier
Montréal, Planète rebelle/La Quadrature
2022, 80 p., 24.95 $