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Écrire son chemin vers l'allègement

Écrire son chemin vers l'allègement

Une quête identitaire difficile portée par une voix forte et vulnérable qui affronte ses démons, pour émerger de l’autre côté d’une longue nuit, plus fidèle à elle-même.

Poésie

Une quête identitaire difficile portée par une voix forte et vulnérable qui affronte ses démons, pour émerger de l’autre côté d’une longue nuit, plus fidèle à elle-même.

En 2017, Dead End (Perce-Neige) marquait l’arrivée en poésie de Mo Bolduc. Le livre a eu l’effet d’un coup de poing dans la face des lecteur·rices. Ses vers féministes et engagés retraçaient les tourments d’un·e poète qui tente de se libérer de sa cage en cassant tout. On y découvrait une voix singulière et provocante qui criait sa douleur de vivre et les déboires du quotidien.

Même si peu de critiques ont souligné sa parution (ce qui a plus à voir avec le contexte acadien qu’avec la qualité de l’ouvrage), il s’agit néanmoins d’une œuvre importante dans le répertoire de la poésie acadienne actuelle qui, malgré la bonne volonté des éditeurs, compte une très grande majorité d’auteurs masculins. C’est pourquoi on sent souffler un vent de fraîcheur lorsqu’émergent des talents de genres autres – et encore plus quand ils et elles persévèrent au-delà de la première publication.

Il y a déjà un moment qu’on guettait la sortie du deuxième recueil de Bolduc, Matin onguent, dont le titre fait écho au film d’Émilie Peltier, Matin ecchymose (2020). Le court métrage mettait en scène des personnes sourdes de la ville de Québec ainsi que Mo Bolduc, interprétant des textes qu’iel avait écrits lors d’une résidence à la Maison de la littérature de Québec.

Faire face à ses démons

Dès la lecture des premiers vers, on reçoit l’appel d’une transformation: «quand vivre te tire à terre / te rentre dedans / même si c’est beau // c’est le temps de recommencer». Dans la première des quatre sections du recueil, on suit une histoire d’amour qui, malgré la douceur des nouvelles aventures, s’effrite peu à peu. On sent la noirceur des démons de Dead End rattraper l’auteur·rice. Cet échec amoureux laisse le sujet meurtri à l’aube d’une autre rupture: «matin ecchymose / coulant de partout / les yeux barrés / comme ta porte».

Dans la deuxième partie, une série de poèmes où foisonnent les images aussi belles que bouleversantes nous entraîne dans une descente en montagnes russes: «couper le bracelet / de notre union se lasse / nous câlisser aux vidanges // traîne-moi par terre / dans le brun des lundis». On s’attend à une collection de défaites amoureuses quand tout à coup, c’est un autre type de conflit qui surgit: «je fais mon deuil de toi / avant la tempête». Ces deux vers nous amènent à comprendre que même si les textes suivants sont ancrés dans la rupture, l’histoire d’amour était en fait un pansement sur une blessure plus profonde, qui devait refaire surface: l’œil de la tempête et le cœur du livre marquent non seulement une séparation avec l’autre, mais surtout avec une partie de Soi, quittée peu à peu comme une exuvie.

Puisque le titre annonce un baume, les poèmes transportent les lecteur·rices vers l’allègement d’une très longue nuit où se mélangent débauche, autoflagellation et douleur. On passe une majeure partie du recueil à monter, mais surtout à descendre, avant de ressentir la catharsis: «je veux être autre chose». Hélas, on n’avait peut-être pas encore connu le pire: «c’est tout ce que je voulais au fond / que tout existe sans moi».

L’écrivain·e entame la dernière partie de l’ouvrage en affirmant avoir choisi de vivre. C’est un pas dans la bonne direction, bien que la progression reste ardue: «tu choisis de rester vivant·e / tout croche / su’l penchant / on te demande / si t’es à ta place». L’objet de la quête, le fameux Matin onguent, survient un peu soudainement au bout de moult agonies. C’est peut-être le matin, mais on ne comprend jamais trop pourquoi ou comment on y est arrivé.

Un coming out

Au fil des changements de genre, et avec l’irruption d’une graphie inclusive pour désigner le·la protagoniste, on comprend très subtilement le début d’une solution avec l’adoption d’une identité trans, une réalité qu’iel n’en peut plus de cacher au monde: «j’pu capable / de me noyer à répétition / de me rendre au bout de mes tromperies». On s’attarde cependant très peu sur le processus qui mène à cette réalisation, mais plutôt sur la noirceur profonde qui précède cet affranchissement.

Matin onguent déborde de beaux moments poétiques dans lesquels on ressent l’influence de la délectable débauche de Charles Bukowski. On baigne dans l’univers à la fois dur et ténébreux d’une quête personnelle visiblement très pénible. On espère que l’onguent apportera la guérison qu’il laisse présager.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Mo Bolduc
Moncton, Perce-Neige
2021, 88 p., 20.00 $