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Des mots qui atteignent leur cible

Des mots qui atteignent leur cible

Les personnages de nouvelles brèves, telles des étoiles filantes, éclairent un instant l’univers de leur créateur. La vérité qu’ils portent en eux donne de l’éclat à leur lumière. Ceux d’Emmanuelle Cornu éblouissent.

Les personnages de nouvelles brèves, telles des étoiles filantes, éclairent un instant l’univers de leur créateur. La vérité qu’ils portent en eux donne de l’éclat à leur lumière. Ceux d’Emmanuelle Cornu éblouissent.

On ne sort pas indemne de la lecture de ces trente-trois textes courts, parus chez Druide sous le titre Trois tours de cordon.

Dès la première partie du livre, l’autrice place ses lecteur·rices face à une réalité qu’elle dépeint dans toute son âpreté: la perte, durant la grossesse, d’un bébé passionnément désiré. Le sang, «cette dentelle incrustée de caillots» que la mère tente de bloquer avec «une boulette de papier-cul insérée dans le vagin», emporte «sa poussinette qui s’est fait pousser des ailes», son «ange-fille». Douleur, verdeur des propos, poésie, tendresse: le ton est donné.

Des personnalités rebelles

D’autres personnages s’insurgent contre la société dans laquelle ils vivent. Peter, le prof «pas de classe», s’enfuit le jour de la rentrée, parce qu’il n’en peut plus qu’on lui demande d’accomplir des miracles avec des «élèves infestés de poux, déficients, catatoniques, compulsifs, violents, esseulés, négligés, fugueurs, hyper performants, angoissés, éteints, maltraités, superbes échantillons de la société». Cette pluie d’adjectifs remplace efficacement une longue analyse sociologique. Cornu répète souvent le procédé. Ses protagonistes ne font pas d’introspection: ils réagissent, souffrent, se fâchent, critiquent, dépriment, essaient même de s’enlever la vie, comme Tim, qui voudrait qu’on le laisse mourir de froid dans la neige, mais que ses voisins, animés d’un bel esprit communautaire, sauvent malgré lui. On rit, mais juste un peu.

Une critique de l’homophobie

En revanche, on ne rit plus devant ce médecin, soucieux de guérir des adolescents de leur homosexualité, qui organise un camp de vacances où les employés, «blancs, hétérosexuels, musclés, homophobes, catholiques et passablement abrutis», filment les ébats des jeunes avec une caméra cachée et les projettent sur grand écran, probablement dans un but thérapeutique. Non, on ne rit pas de cette cruauté aussi bête qu’inutile.

La deuxième section du recueil s’ouvre également sur un épisode de fausse couche, mais cette fois écrit au «je». Perte de Mathilde, désespoir, soutien de l’amoureuse de la narratrice, puis reprise des démarches d’insémination, et là, bonheur, naissance d’un petit garçon: «Mon fils est une petite marée, je vogue à ses côtés.» Les nouvelles suivantes sont pour la plupart portées par des personnages féminins, dont Aurélie: n’ayant pas appris à s’aimer, elle doute de la valeur de son roman et craint de ne pas survivre à ses premières dédicaces à un salon du livre. Seul moment drôle, mais il faut apprécier l’humour noir: la terrible séance de méditation de Julius, ponctuée de «om» à toutes les sauces, nous convainc que partir à la rencontre de son inconscient n’est pas recommandé à tout le monde.

Un chagrin de notre époque

La troisième partie du recueil débute par une naissance, celle d’un enfant qui sort «ligoté, le cordon d’une longueur exceptionnelle, bien enroulé autour du cou… Trois tours de lasso.» Cette description des suites de l’accouchement est aussi crue que la première: «Sa serviette hygiénique post-accouchement traîne sur le plancher, parmi les débris médicaux. Nature morte nouveau genre.» La même tendresse s’y retrouve cependant: lorsque le bébé lui est retiré, Annabel «ressent l’appel de son fils, son absence est insupportable», et elle s’épuise à tenter de le rejoindre. Plus loin, abordant un thème apparenté, deux nouvelles détaillent le changement de sexe d’une femme et l’impact de cette transformation sur sa conjointe laissée pour compte. Le second de ces textes clôt le recueil sur une observation douloureuse: «Mon chagrin prend les couleurs de notre époque, révolutionnaire, instable et en constante mutation.»

En constante mutation, certes, car il n’y a rien de conventionnel dans le propos de Cornu. Rien de tiède, non plus. C’est la force de ce recueil. Sa faiblesse vient de l’absence d’un fil rouge qui donnerait une cohérence à l’ensemble. Un manque que l’écrivaine a peut-être voulu compenser en intitulant ainsi les sections de son livre: «Rupture», «De», «Comportement». Mais que retenir du titre «De», sinon sa maladresse? Qu’à cela ne tienne, il reste, du côté des qualités, la modernité, la vivacité du style et la justesse des personnages. En somme, Emmanuelle Cornu a une voix originale qu’on prendra plaisir à retrouver.

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Emmanuelle Cornu
Montréal, Druide
2022, 168 p., 19.95 $