Aller au contenu principal

Des mots, d’la dynamite

Des mots, d’la dynamite

Avec Les jardins de linge sale, son premier recueil, Laurence Gagné démontre un réel talent de magicienne de l’ordinaire.

Thématique·s
Poésie

Avec Les jardins de linge sale, son premier recueil, Laurence Gagné démontre un réel talent de magicienne de l’ordinaire.

Thématique·s

La performeuse Nathalie Derome disait faire du théâtre en forme de femme. C’était à l’image de cette façon de faire très féminine de besogneuse qui accomplit des miracles grâce à des bouts de chandelles et des trésors de ficelle. Après tout, nous, les femmes, n’avons-nous pas toujours tenté de fabriquer des pièces d’orfèvrerie avec les miettes à notre disposition? Derome créait des merveilles d’inventivité lo-fi. Laurence Gagné s’inscrit avec brio dans la lignée de cette artiste.

C’est qu’elle bricole avec les mots, la jeune poète, et le résultat est souvent bluffant. Elle les frotte les uns contre les autres comme des pierres à fusil: émerge de ces matériaux bruts une gerbe lumineuse de quelques vers en chute. Ou elle les manipule telle une matière plastique, les agençant en un collage savamment étudié. La magie n’opère pas toujours, mais on pardonne aisément tant l’ensemble demeure fascinant et vivifiant.

De l’obsession pour la fin

Écrit sous le signe de l’éviction (toujours anticipée chez la narratrice, mais jamais subie), le recueil se divise en trois sections distinctes. La première, intitulée «La ville», explore la vie de jeune adulte débutante, la rencontre, la séduction. Dans l’odeur de cendre des bars et de l’asphalte mouillé de minuit, la voix narrative s’attarde sur le quotidien enluminé des premières amours. «Tu te tiens encore droit dans ma confusion / moi je reste longue / nos robes de fusées sont encore plus sexy qu’un divorce». L’éviction latente est celle d’une possible faille à venir, d’une prévisible fatigue dans ce tango encore plein de promesses. L’humour mordant de l’autrice se faufile entre les constats, empruntant souvent la même formule rythmique: en deux vers finaux bien déposés.

maintenant je suis plus fatiguée
que les dents de l’autoroute
et pour être honnête
on préfère s’imaginer que je
finirai par partir

en disant chaise vide
on exagère

«Ma viande est étrange auprès de la tienne»

La deuxième section du livre, «La maison», décrit les effets inévitables du quotidien, d’où proviennent ces magnifiques «jardins de linge sale» qui coiffent toute l’entreprise. C’est le temps d’Henri Bergson, le changement de paradigme et l’aménagement des mœurs. On quitte la jeunesse pailletée pour la routine off white, et la désertion se profile. «Tu n’auras jamais voulu / nous surprendre à classer les mots / avec la même urgence / que le matin / quand je nous déterre». L’expulsion s’annonce en sous-texte, plus oppressante. Dans cette partie, Gagné sculpte encore une fois ses vers en prévision des chutes; cependant, les images sont présentées en escalier pour la fin de l’envoi, créant souvent un effet de ravissement en fin de strophe.

il y a à boire
dans la fausse cuisine
de quoi vite calmer
l’espace négatif
par des familles neuves qui débarquent
en camions d’anniversaires

Rien n’est simple

«Les vacances», la dernière section, reste probablement la moins bien définie. Ici, pendant les belles journées, l’amour s’écaille et se délite. Pourtant, tout tient encore miraculeusement en place. Le thème est brouillon, confus, mais non sans quelques éclats: «j’avais encore la brassière mouillée / on se criait après dans l’auto / ça s’était fendu jusqu’au pont». La poète se permet aussi quelques strophes plus impressionnistes et particulièrement réussies.

j’apprends et désapprends
à être loyale comme un labrador
ou un soldat américain
attente-parking
attente-herbe
mes genoux
ma cornée ton sommeil catégorique
en parfait alignement

On remarque néanmoins une juxtaposition de poèmes moins fluides. Gagné semble presque forcée d’en finir avec un dernier sujet un peu plaqué. Le thème a-t-il été trouvé en fin de course pour chapeauter des textes forts et bien construits, mais qui peuvent être difficilement regroupés sous un ensemble narratif marqué? Peut-être. N’empêche: le recueil regorge tant de trouvailles qu’il faudra le garder très précieusement en attendant la suite.

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF