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Des diamants sous la ville

En 2015, avec L’empire bleu sang, Vic Verdier a remporté le prix Jacques-Brossard, la plus prestigieuse récompense pour les littératures de l’imaginaire au Québec. Six ans plus tard, les éditions Alire proposent une version définitive du livre.

Littératures de l'imaginaire

En 2015, avec L’empire bleu sang, Vic Verdier a remporté le prix Jacques-Brossard, la plus prestigieuse récompense pour les littératures de l’imaginaire au Québec. Six ans plus tard, les éditions Alire proposent une version définitive du livre.

Cette mouture finale a sans contredit été bonifiée. L’auteur le mentionne dans l’une des pages liminaires: il remercie éditeur et directeur littéraire pour cette version «savoureuse et rudement bien ficelée». Ne vous laissez pas effaroucher par cette vantardise, qui aurait davantage eu sa place dans la section des remerciements (et sur un ton moins affirmatif), et n’hésitez pas à plonger dans cette histoire inventive et luxuriante, dotée d’une narration chorale. Car L’empire bleu sang est une uchronie qui marque son – ses – époque(s), le récit se déroulant alternativement en 1887 et en 1987, au sein d’une ville de Québec fort différente de celle que nous connaissons.

L’empire

Depuis la découverte, au XVIIIe siècle, d’un gisement de diamants bleus sous le cap, la capitale est devenue un empire, une Cité-État. Mégalopole tentaculaire, «L’Étoile du Nord» accueille une population aux croyances variées, tels ces disciples du Vrai Messie, qui se trouent la paume gauche en signe d’allégeance. Depuis, tout le monde porte des gants… La religion est en effet fortement enracinée dans ce Québec richissime, où de nombreuses expériences génétiques sont menées, dont celles du Docteur Raumeo, créateur des Dogues d’Orléans, «chiens» de garde immenses et redoutables, au pelage blanc «comme un rappel des couleurs du drapeau québécien». Ils sont des machines à tuer, à l’instar de Victor Notre-Dame.Né dans une église au cours d’une nuit sordide, Victor, malgré ses membres déformés, est pourvu d’une force considérable. Il part en croisade contre les adeptes du Vrai Messie: les fameux «crucifiés» à la paume trouée qui ont torturé et assassiné l’un de ses amis. Son but: «guérir Québec du Vrai Messie». Cent ans plus tard, les habitants de l’empire se rappellent la Saint-Jean-Baptiste funeste de 1887.

Bleu

À la lecture des lignes précédentes, vous aurez compris à quel point le Québec dépeint par Verdier a évolué autrement, le latin et le français étant par exemple devenus des langues universelles. Cette Cité-État, «plaque tournante du continent», n’est rien moins que fascinante. L’univers mis en place par l’écrivain est adroitement décrit par petites touches, au gré d’une narration aussi généreuse que foisonnante et parsemée de clins d’œil humoristiques à notre réalité. À mon sens, c’est davantage par la révélation, strate après strate, de son arrière-monde que par son intrigue que L’empire bleu sang éblouit. L’œuvre s’avère également remarquable pour les torsions imaginatives que Verdier fait subir à l’Histoire et pour sa façon de dévoiler le «fabuleux destin de l’Empire québécien», sans jamais rechigner à tendre vers l’intensité.

Sang

En plus d’aborder la science-fiction via le steampunk – genre dans lequel la Révolution industrielle aurait évolué autrement sur le plan technologique –, le roman fait la part belle à l’horreur. Et Verdier, contrairement à ses personnages, ne met pas de gants. La naissance de Victor Notre-Dame et les combats féroces des Dogues d’Orléans sont décrits de manière joliment visuelle, soutenus par un style précis, suggestif. L’auteur n’élude pas non plus l’inquiétante visite du laboratoire du «savant fou».

À ma plus grande satisfaction, pas de demi-mesure dans ce récit. C’est tant mieux: L’empire bleu sang est un «ouvrage-fresque» qui gagnait à embrasser à fond son projet spectaculaire. C’est ce que le livre accomplit en gardant les lecteur·rices haletant·es et ensorcelé·es grâce à un savant mélange d’aventures et d’effroi. Il est toutefois dommage que les notes de bas de page, trop abondantes, m’aient ponctuellement sortie du vertige que procure l’histoire. Traduire les phrases en latin est pertinent, mais expliquer ce que signifient des expressions telles que «Holy Christ» ou «Damn him» est plutôt superflu.

Véritable «récit-spirale», L’empire bleu sang invite les lecteur·rices à accompagner les protagonistes entre deux poursuites dans la ville pour échapper aux Dogues d’Orléans. Ils et elles doivent s’assurer au préalable de bien enfiler leurs gants pour dissimuler leur allégeance religieuse aux regards inquisiteurs. Un ouvrage puissant qui raconte un Québec alternatif au lys scintillant, où il faut se méfier de l’éclat des diamants, même lorsqu’on se réveille avec de la poussière bleue dans les cheveux. Car, comme l’affirme haut et fort Victor Notre-Dame au sujet des crucifiés, «ils vont l’avoir, leur cauchemar».

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Vic Verdier
Lévis, Alire
2021, 244 p., 25.95 $