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À demain ou à jamais

Les collectifs littéraires, particulièrement ceux menés par des écrivaines, sont en vogue cette saison. La poète Marie-Élaine Guay (Castagnettes, Del Busso, 2018) a dirigé Et si on s’éteignait demain?, de la scène du Jamais Lu à sa publication.

Thématique·s
Poésie

Les collectifs littéraires, particulièrement ceux menés par des écrivaines, sont en vogue cette saison. La poète Marie-Élaine Guay (Castagnettes, Del Busso, 2018) a dirigé Et si on s’éteignait demain?, de la scène du Jamais Lu à sa publication.

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Le festival du Jamais Lu propose annuellement, depuis 2002, des mises en lecture de textes essentiellement mais non exclusivement dramaturgiques, dans toute l’instabilité précédant leurs représentations théâtrales proprement dites. Comme pour les actes de colloques, la question se pose, dès lors qu’on souhaite publier les textes lus et performés lors d’un événement devant public, s’ils devraient paraître tels quels ou sous une forme remaniée pour la lecture. Faut-il rappeler qu’un texte entendu et un texte lu en silence n’engagent pas la même profondeur de compréhension du spectateur ou du lecteur, et donc ne créent pas les mêmes attentes respectives? Qu’en d’autres termes, ce qu’on aura manqué d’une lecture sur scène (parce qu’on ne peut tout capter en une seule écoute: c’est là tout l’horizon d’effets de la performance) sera au contraire recherché par le lecteur?

Sans présumer du processus d’édition qui a été effectué entre la présentation devant public des poèmes de Et si on s’éteignait demain? et leur publication, je me risque à affirmer qu’une volonté de fidélité à la performance a prévalu, comme le suggèrent les deux avant-propos et les photographies des auteur.e.s au fil des pages, rappelant que le tout provient d’un spectacle rejoué dans le livre.

Or, cette posture s’avère ici problématique. À la lecture, plusieurs poèmes révèlent des faiblesses excusables en performance (parce qu’en concurrence avec d’autres sources de sens qui constituent l’œuvre performée: voix, présence physique du performeur, conditions du moment), mais difficiles à justifier du point de vue éditorial. C’est ainsi qu’Emmanuel Schwartz, sans doute très solide sur scène (il est d’abord acteur et son texte fournit des indices d’oralité qui en soulignent la nature scénique), offre un texte qui apparaît maintenant complètement décousu, sans fil clair ou tentative de conclusion pour le contenir, aggravé par une absence de travail qui resserrerait des phrases plombées — allez savoir qui sont «tous ceux» évoqués ici:

Dans cette vague promesse de ne pas être seul
Je sais que je vais à la mort bien entouré de tous ceux
Qui dans la misère de l’effort
Dans le dernier souffle
Je veux dire
Je suis parmi vous
Et je crie
Yes […]

Peut-être ont-ils été mimés. Désolé de tirer sur une cible possiblement facile, mais à un moment donné, l’amateur de poésie se lasse d’aller voir les comédiens — voir les musiciens, voir les magiciens. C’est d’un livre qu’il s’agit ici.

Unplugged

D’autant que la question imaginée par l’initiatrice du projet, celle de réfléchir au dernier texte laissé derrière soi, était pertinente, probante. À celle-là, des poètes répondront avec plus ou moins d’aisance. Dans les cas de Virginie Beauregard D., Daria Colonna, Jean-Christophe Réhel et Carole David, il n’est pas inintéressant de voir leurs poèmes chercher leur pensée à tâtons, puis trouver et développer leurs assises au fil du texte. Ces moments constituent à mon sens le cœur de l’exercice, entre parole vivante, fondamentalement imparfaite, et poèmes aux résonances plus grandes à l’écrit.

Mais ailleurs, le lecteur s’exaspérera devant des propositions d’intérêt nettement moindre, entre le texte de Marie-Élaine Guay — pourtant bien amorcé — qui s’essouffle en listes et en facilités («quelque chose de cool câlisse enfin»), Daniel Leblanc-Poirier qui s’acquitte minimalement de la tâche pour nous redire «fuck you», et les effets de répétition mal calibrés chez Charlotte Aubin, dont le propos n’est pas neuf et l’écriture ne nous tient certainement pas au bout de nos chaises, malgré une intention manifestement contraire («FAST FORWARD» en anaphore).

Enfin, deux textes sont animés d’une force que la page n’aura pas éteinte et qui ravivent les échos du moment où ils sont nés. Maude Veilleux, à qui l’on connaît des affinités fortes avec la performance, livre un poème revendicateur et tranchant («parce qu’on a de beaux discours sur les artistes qu’on traite/comme des forces de production/parce que je ne sais jamais combien je serai payée ni à quel/moment»), qui s’accompagne de photographies où on la voit immobilisée au sol par une grosse pierre sur le sternum. L’ouvrage se clôt sur un texte superbe de Benoît Jutras, «Oncologie maison», éclaboussant de franchise: «Je prends plus de pilules que l’Occidental moyen. Quand j’entre dans une pièce, je sais à la dizaine près combien de fantômes l’ont occupée. J’ai plus de tatouages que d’amis et ça me laisse froid.»

En somme, trop peu de textes de ce collectif de poètes et de comédiens talentueux échappent à l’écueil du «il fallait y être», et il aurait fallu y penser davantage. ♦

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Marie-Élaine Guay
Montréal, Del Busso
2019, 116 p., 17.95 $