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Déjà vu

Une nouvelle création de Jimmy Beaulieu est toujours un moment excitant pour l’amateur de bande dessinée que je suis. Même lorsqu’il flirtait avec le cliché dans ses œuvres précédentes, sa façon de raconter, sa sensibilité et son humour venaient racheter la chose.

Bande dessinée

Une nouvelle création de Jimmy Beaulieu est toujours un moment excitant pour l’amateur de bande dessinée que je suis. Même lorsqu’il flirtait avec le cliché dans ses œuvres précédentes, sa façon de raconter, sa sensibilité et son humour venaient racheter la chose.

Or, le dessinateur n’arrive pas à convaincre dans ce nouvel album. Après des albums d’une grande qualité comme Comédie pornographique sentimentale et Non-aventures, les attentes ne pouvaient qu’être grandes pour Rôles de composition. Cependant, l’auteur ne parvient pas à toucher le lecteur avec ce récit d’amour et d’infidélité. On retrouve les mêmes éléments que dans les précédents albums de Jimmy Beaulieu: des femmes nues, un propos social et une histoire romantique un peu compliquées. Malgré toute la bonne volonté du bédéiste (parfois trop sentie d’ailleurs), le récit ne parvient pas à décoller et, une fois terminé, l’album se referme sans laisser trop de souvenirs.

Amour sur carré rouge

L’album commence en 2012. Noémie et Colette font l’amour en discutant. La première est comédienne et raconte sa déception à propos d’un rôle qu’elle a obtenu dans une série télé. Au fil de leurs ébats, elles se couvrent de peinture pour ensuite s’habiller et aller rejoindre la manifestation étudiante qui passe en bas de chez elles. Expliquons tout de suite que la bande dessinée est découpée en séquences, toutes teintées différemment. Selon le chapitre, les planches ont la même couleur (rouge pour les premières planches, bleu pour certaines, vertes pour d’autres,etc.).

Dans la deuxième séquence, Colette angoisse à l’annonce de l’arrivée de sa mère qui vient rendre visite au couple. Les filles se remémorent leur rencontre et le coup de foudre qu’a eu Colette, alors que Noémie fréquentait une autre fille. Colette, la bavarde des deux, s’épanche longuement sur ses sentiments, tandis que la comédienne, elle, l’écoute sans trop réagir.

La partie de l’album qui suit ressemble davantage à un manifeste d’extrême gauche maladroit qu’à un dialogue entre deux personnages. Pendant qu’elles font l’amour (ces filles ont vraiment un pouvoir de concentration hors du commun), Colette tient ce discours:

Or, c’est la spécialité de l’ennemi. Sa virtuosité dans l’art de manipuler les masses est si totale qu’on ne peut plus se défendre à coups de simples «Réveillez-vous!» qui, au fond, ne servent qu’à exprimer notre colère.

En regardant un film de science-fiction allemand avec Colette, Noémie sent monter en elle un véritable béguin pour l’actrice principale du film, une certaine Ana Glaser. Quelque temps après, elle part en voyage, en Allemagne, sans trop en dire à Colette sur ses visées. En fait, Noémie a contacté la fameuse actrice et court la rejoindre. Jimmy Beaulieu raconte sans juger ses personnages, sans les excuser, mais sans vraiment faire comprendre leurs motifs.

À trop vouloir

Ce qui surprend le plus dans cette bande dessinée, c’est que, malgré le fait que tous les traits propres à Jimmy Beaulieu sont réunis, on ne le sent pas impliqué dans son récit. Les différentes situations dans lesquelles sont plongées les héroïnes sont souvent banales, ce qui en soi n’est pas inintéressant, mais elles ne nous rendent pas les personnages plus sympathiques ou attachants. Or, c’est justement cet attachement, qu’on éprouvait dans les autres albums de l’auteur, qui manque. Les allusions à la musique rock et alternative des années 1990, nombreuses encore une fois, tentent d’appuyer un propos diffus.

Le trait de Beaulieu est plus gras, moins détaillé que ce qu’il nous avait proposé dans ses albums précédents. Les cases sont plus aérées, l’impression qui en découle est que les personnages sont plus libres. Bien entendu, le plaisir que le bédéiste prend à dessiner des corps de femmes qui s’enlacent est palpable, les fidèles lecteurs y reconnaîtront le dada de l’artiste. Ces élans érotiques ont déjà été vus dans d’autres albums, mais en mieux, avec plus de sensualité et d’émotions. On referme l’album avec l’impression (fausse, je le souhaite) que Jimmy Beaulieu a peut-être fait le tour du jardin avec ses univers féminins. Dommage.♦

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Jimmy Beaulieu
Montréal, Mécanique générale
2016, 112 p., 29.95 $