Aller au contenu principal

Dans le ciel de Montréal

Portrait d’une génération, critique de la société québécoise, réflexion poétique sur la condition humaine et grande fête cathartique, Cabaret neiges noires a fêté ses vingt-cinq ans.

Théâtre

Portrait d’une génération, critique de la société québécoise, réflexion poétique sur la condition humaine et grande fête cathartique, Cabaret neiges noires a fêté ses vingt-cinq ans.

Créé à la Licorne en 1992, Cabaret neiges noires est paru chez VLB en 1994. Vingt-cinq ans plus tard, voilà que la pièce phare de Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier, Pascale Rafie et Jean-François Caron est rééditée par Somme toute, une maison qui semble avoir à cœur le patrimoine dramaturgique québécois, comme en fait également foi son projet de rendre disponible toute l’œuvre théâtrale de Michel Garneau, dont la traduction du Macbeth de Shakespeare est déjà parue en janvier.

Cabaret

La première chose qui saute aux yeux, après la jolie illustration réalisée par Florence Rivest pour la couverture, c’est la minceur du discours accompagnant un texte qui a pourtant vu le jour il y a un quart de siècle. En guise de préface, un bref témoignage de l’animatrice Catherine Pogonat, un préambule senti, certes, mais bien peu fouillé. On retrouve également l’avant-propos de la première édition, signé par Dominic Champagne, quelques photos du spectacle de 1992, et finalement une quinzaine de courts extraits de la critique de l’époque. Pour donner aux jeunes lecteurs un aperçu du choc causé par la création de Cabaret neiges noires, mettre en contexte et en perspective un spectacle devenu culte, jeter dessus un regard contemporain, c’est nettement insuffisant. Il y avait là une belle occasion, malheureusement manquée, de tendre la plume à un ou une spécialiste.

C’est au terme de quelque soixante-quinze représentations qu’a été «déposée» la portion textuelle d’un spectacle où la danse, le chant et la musique occupaient une place capitale. Divisé en trois sets, le texte est constitué d’une quarantaine de courtes pièces franchement contrastées (dont une liste, en fin d’ouvrage, serait fort utile). Les numéros, où cohabitent de manière étonnamment harmonieuse les registres, les destins, les symboles et les époques, cultivent les ruptures de ton propres au cabaret, son caractère hybride et aigre-doux. Pour contribuer à la cohérence de l’ensemble, il y a les personnages récurrents, bien entendu, mais aussi les quelques «décrochages», qui permettent aux comédiens (André Barnard, Marc Béland, Julie Castonguay, Dominic Champagne, Norman Helms, Roger Larue, Suzanne Lemoine, Wajdi Mouawad, Catherine Pinard et Dominique Quesnel) de parler en leur propre nom. Précisons que chaque courte pièce est signée par l’un des quatre dramaturges. Ainsi, bien qu’il ait été écrit dans une grande collégialité et qu’il ait été fortement sculpté par les répétitions, le texte n’est pas à proprement parler une création collective (des initiales, à la fin de chaque tableau, nous indiquent qui en est l’auteur).

Neiges noires

Emblématique d’une époque, les années 1990, cristallisant les préoccupations sociales et esthétiques de la génération X, celle qui eu la délicate tâche de succéder aux baby-boomers, Cabaret neiges noires aborde des enjeux qui n’ont pourtant rien perdu de leur pertinence. Changer le monde. Revendiquer liberté, fraternité et égalité. Réformer le théâtre. Embrasser tous les genres, défier les conventions, détourner les codes. Parce qu’elle saisit quelque chose de ce que l’on pourrait appeler l’âme québécoise, la souffrance et la résilience de ces francophones d’Amérique qui se révoltent tranquillement, ceux-là qui réclament leur autonomie du bout des lèvres, mais aussi parce qu’elle fait un énorme pied de nez à cette tiédeur, à cet immobilisme, la pièce a de quoi inspirer plusieurs générations.

L’hybridité de l’œuvre est toujours réjouissante, voire subversive. Cabaret neiges noires, comme l’exprime si bien l’oxymore emprunté à Hubert Aquin, c’est à la fois l’ombre et la lumière, le jour et la nuit, le suicide et la rage de vivre, la désillusion et l’utopie, le pessimisme et l’espoir. «La scène est à Montréal/C’est le début de l’hiver/Et s’il est vrai que c’est dans la nuit/La plus noire que les étoiles/Nous apparaissent le mieux/Ce soir il neige de la neige noire/Dans le ciel de Montréal.» Hantée par le rêve piétiné de Martin Luther King et l’amnésie funeste de Claude Jutra, portée par cet état adolescent, dans le meilleur sens du terme, cet indémodable esprit rock and roll, rébellion profondément nihiliste en même temps qu’éminemment créatrice, la pièce pourrait bien traverser un autre quart de siècle sans prendre une ride. À ceux qui ne seraient pas encore rassasiés, on recommande chaudement l’adaptation filmique réalisée par Raymond Saint-Jean: Cabaret neiges noires. Le cri explosif d’une génération (Ciné Qua Non Films, 1997). ♦

 

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier, Pascale Rafie, Jean-François Caron
Montréal, Somme toute
Répliques
2017, 244 p., 25.95 $