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Dans la forêt de l'être

Après le prometteur La ville inquiète (Poètes de brousse, 2018), Colin revient cet automne avec Chant d’obstacles, qui peine parfois à soutenir le poids de ses ambitions.

Poésie

Après le prometteur La ville inquiète (Poètes de brousse, 2018), Colin revient cet automne avec Chant d’obstacles, qui peine parfois à soutenir le poids de ses ambitions.

Le talent de Colin, révélé par son premier recueil, est indéniable. Les poèmes en prose de La ville inquiète ont une grâce et une élégance peu communes. Les métaphores saisissantes jalonnent des textes dont le phrasé transforme la poésie en lumière, qui se détache des ténèbres claustrophobiques dont elle est issue. Ce faisant, le finaliste au prix Félix-Leclerc en 2019 laisse percevoir le pouvoir salvateur de l’art. Aussi, mes attentes étaient grandes pour Chant d’obstacles, une bête tout à fait différente.

Renoncements

C’est que ce dernier ouvrage constitue de plusieurs manières le négatif du premier. On quitte la ville pour la forêt, la prose pour le vers. Comme son titre l’indique, le recueil met en relief l’empêchement de la parole, le combat du poète pour gagner sa propre voix. Les références à Antonin Artaud, cité en exergue, et au photographe David Nebreda inscrivent le projet de Colin sous le signe de l’autobiographie et de la psychiatrie. D’emblée, l’écrivain prend conscience du caractère schizophrénique de son identité, séparée entre un «moi», «image […] /sillonnée par le désir», et «un autre formé/pour l’autopsie». Le dépassement de ce dédoublement nécessite d’affronter la blessure, le traumatisme qui l’a créée.

je fais face, pierre
parmi les pierres
relégué à la seule
plaie visible

je veux plonger
un mot unique dans le monde
dévoré de l’autre

S’engage alors une plongée en soi, qui mène l’auteur à retrouver la source de cette séparation d’avec le monde, c’est-à-dire au cours de l’enfance, au moment de l’acquisition du langage et de son pouvoir d’objectivation.

entre pleurs, rire sautant
sur la corde, rire de crâne
rire, tempête dans les yeux

je n’ai plus les animaux
ni anges aux maladies rares
ni les morts contigus
mais les trouve devant

Le poète explore cette unité perdue entre l’être et le monde à travers le thème de la nature. Il cherche un moyen de canaliser la fécondité du vivant, la possibilité de renouveau, puisque «chaque arbre/a les yeux d’un enfant». Aussi l’ouvrage se termine-t-il par l’abandon de l’auteur aux forces qui le dépassent, le débordent, le dévorent – abandon qui lui permet de repartir «la vie sauve».

Le vol d’Icare

Porté par une grande ambition conceptuelle, Chant d’obstacles se distingue par son exigence. Sa parole ciselée met en évidence le travail minutieux de la forme, qui fait quelquefois écran à un rapport plus viscéral à la quête de pureté que veut transmettre le texte. En effet, chacune des décisions techniques de Colin se justifie sur le plan littéraire: le recours appuyé à l’infinitif et les ellipses fréquentes des déterminants illustrent adéquatement la difficulté de se dire en dehors des conventions. Mais en tant que lecteur, j’ai été agacé par de fausses notes, comme celle dans la deuxième strophe de cet extrait, où l’on voit bien que l’auteur essaie d’en faire trop.

l’éclair suffit à l’arbre pour sa danse
nuit pour l’œil entier ouvert

suffit à l’arbre pour son feu
à l’ange pour devenir
plaie léchée de boue, ce qui se dit
ombre

à la mémoire pour n’être plus
que dans la paume

incendie dans la paume

D’ailleurs, le choix du vers libre dans cette œuvre accentue des défauts que la prose, par son orthodoxie syntaxique, amoindrissait dans La ville inquiète. La défamiliarisation dont procède la poétique de Colin m’apparaît plus forcée en vers qu’en prose. De plus, le recueil, long de cent vingt-six pages, s’étire inutilement. Un élagage plus soutenu aurait donné à Chant d’obstacles un peu d’air dont il aurait bénéficié, surtout que la meilleure partie du livre (en tout cas, celle que j’ai préférée) est la toute dernière.

Cela dit, je tiens à saluer le courage de l’artiste, qui n’a pas hésité à s’aventurer hors des sentiers tracés par son premier opus. Il y a dans cette audace un peu du Frenhofer du Chef-d’œuvre inconnu; en revanche, je souhaite à Colin et à son œuvre un destin absolument différent de celui du peintre dans la nouvelle de Balzac.

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Colin
Montréal, Poètes de brousse
2021, 126 p., 18.95 $