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Comment devenir un good boy

Comment devenir un good boy

Lauréat, en 2016, du prix Robert-Cliche pour Coco, Antoine Charbonneau-Demers nous revient avec Good boy, un roman d’apprentissage aux accents aigres-doux et désespérés.

Roman

Lauréat, en 2016, du prix Robert-Cliche pour Coco, Antoine Charbonneau-Demers nous revient avec Good boy, un roman d’apprentissage aux accents aigres-doux et désespérés.

«Qui, parmi tous ces gens dont la trajectoire est déjà pleine de sens, pourrait bien vouloir de moi?» Voilà l’une des nombreuses questions qui assaillent le narrateur, à la recherche de lui-même et de sa propre voie dans un monde qui lui est peu familier: lui qui n’a connu que la région, il vit désormais à Montréal, grande métropole où «[l]a solitude en série dans un grillage organisé» s’impose comme la norme et où tout est permis.

Péter le cube

Pour le narrateur, comme pour Rosabel et Anouck, ses colocataires, «péter le cube» revient à se sortir de ses habitudes, de sa torpeur, à ne plus être cette personne qu’il a été jusqu’à maintenant afin de se dépasser et de ne plus se conformer à l’orthodoxie straight. Lassé par la «torture d’être jeune et d’être sous l’interdiction d’être séduit», il entreprend de devenir quelqu’un d’autre: un objet de désir pour des hommes d’âge mûr; un jouet sexuel pour des amateurs de sensations fortes; un jeune homme galvanisé par les caresses de ses amants fugitifs. Pour dire les choses autrement: «[J]e viens d’un milieu de tendresse qui m’a fait inintéressant et j’aurais besoin de me faire fourrer.»

«Chaque homme que je croise est un amant potentiel»: telle pourrait être la devise merveilleuse de ce narrateur, qui multiplie les rencontres avec des hommes comme si sa vie en dépendait. Figurent au palmarès Piero, l’homme marié qui n’ose afficher ses préférences sexuelles; Édouard, qui se délecte de plaisirs anaux et de déjections corporelles; Michel, richissime propriétaire complètement fou «[d]es p’tites mains de p’tit[s] gars»; Jaden, invité cynique à une fête d’Halloween; Nikö Galas, photographe ébloui par le corps d’éphèbe du narrateur; Kurtis Vaughn, play-boy désabusé qui s’enfile des twinks comme d’autres des gin-tonics après une dure journée de travail.

Sans compter Jérôme, bien sûr, que le narrateur aime sans vraiment aimer, ou qu’il déteste plutôt parce qu’il l’aime: l’art du détachement et du narcissisme est nettement plus difficile lorsque les sentiments s’en mêlent. La dynamique entre les deux protagonistes est l’une des plus intéressantes du roman, à mi-chemin entre l’amour véritable, la désillusion, la méchanceté et même la cruauté: «Aller à la clinique avec Jérôme, pour les urgences, un samedi, sans avoir eu le droit d’uriner pendant deux heures, me semble un moment romantique.» Voulant plus que tout connaître le narrateur, qui refuse de lui révéler quoi que ce soit sur lui, Jérôme en vient à franchir l’infranchissable, à commettre l’irréparable, détruisant par la même occasion le peu d’amour qui subsistait entre eux.

Grâce aux hommes qu’il fréquente, le narrateur comprend que son visage «donne envie de l’embrasser»; il apprend que son corps est une source de beauté intarissable; il se sait désormais «young and beautiful»; il sait qu’il existe grâce à eux. Et qu’il continuera d’exister tant et aussi longtemps que des mains le toucheront, que des sexes le déchireront, quitte à atteindre un point de non-retour, à devenir insensible à tout, à s’oublier.

Vivre ses shits

En fait, Good boy raconte les tourments d’un personnage à l’orée de l’âge adulte qui tente de «vivre ses shits». Dans ce monde glauque où toute forme d’espoir semble anéantie, les personnages féminins ouvrent une brèche et introduisent une fragilité qui est bienvenue. C’est d’abord Florentia, une voisine souffrant de démence et vivant aux côtés d’un conjoint violent. Pour péter son propre cube, elle aimerait visiter tous les Tim Hortons du monde et dormir dans un lit à baldaquin. C’est surtout la mère du narrateur, gravement malade, qui bouleverse le fils et l’oblige à sortir de son individualisme inébranlable.

Roman fort bien structuré dont les chapitres sont séparés par des fragments où se côtoient l’humour, l’absurde et l’impossible, Good boy se démarque par ses nombreux dialogues, particulièrement vivants et bien construits, mais dans lesquels abondent des répétitions et des redites qui finissent par agacer. Le texte aurait gagné à être resserré davantage. D’autres répliquent prennent l’allure de small talk frôlant l’insignifiance: de telles conversations peuvent meubler le quotidien, mais personne ne veut forcément les lire. Enfin, la représentation de la folie ne m’apparaît guère convaincante: pour aborder ce thème, l’auteur recourt à des figures culturelles et populaires connues (Modigliani, Rihanna) et à des symboles (comme celui du chat), qu’il éparpille dans son récit sans qu’ils aient une fonction déterminante. Ce discours sur la folie eût mérité d’être étoffé. Qu’à cela ne tienne: malgré ces quelques défauts, Good boy n’en demeure pas moins un jalon solide dans un parcours littéraire s’inscrivant sous le signe de la quête de soi. ♦

Auteur·e·s
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Antoine Charbonneau-Demers
Montréal, VLB
2018, 392 p., 27.95 $