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Carnets de bord du centaure

Connaissez-vous La République du centaure* ? Ce webzine consacré aux littératures de l’imaginaire a pour mission de couvrir l’actualité de ces genres et de publier des fictions.

Littératures de l'imaginaire

Connaissez-vous La République du centaure* ? Ce webzine consacré aux littératures de l’imaginaire a pour mission de couvrir l’actualité de ces genres et de publier des fictions.

Depuis sa fondation en 2015, le maga-zine est dirigé par Alain Ducharme. Également orchestré par ce dernier, l’ouvrage collectif Échos du centaure s’inscrit en continuité avec les activités du site internet. La visée de ce livre est de mettre la science-fiction québécoise à l’honneur, ce qu’il accomplit de façon éclatante. Au programme: des novellas de trois ténors du genre, Daniel Sernine, Jean Pettigrew et Élisabeth Vonarburg, et de deux auteurs plus émergents (quoiqu’assez âgés, le benjamin ayant… quarante-sept ans!), Luc Dagenais et Hugues Morin. Du haut calibre qualitatif qu’offre Échos du centaure! Même si une contribution d’une écrivaine de moins de trente ans aurait été bienvenue au sommaire.

Déferler jusqu’à l’horizon

J’aimerais saluer l’effort de Morin, Sernine et Vonarburg, qui présentent des inédits. J’ai été un peu dépitée de découvrir deux rééditions dans le collectif, même si ces novellas demeurent passionnantes, spécialement «La déferlante des mères», de Luc Dagenais. Ce chef-d’œuvre maintes fois primé est saisissant et poétique. Nous y escortons, sur des montures féroces et exotiques, des guerrières gestantes aux «membres multicolores et mécaniques». Telles des vagues furieuses, les soldates envahissent les frontières et s’abattent sur les continents, car «hors des mères, point de salut». Plus qu’une intrigue, «La déferlante des mères» expose un arrière-monde captivant et inventif qui aurait davantage eu sa place dans un roman. Bien que la brièveté de l’histoire laisse dans son sillage un sentiment d’inachèvement, cette fiction ouvre de formidables horizons de rêverie.

«Biographie sommaire d’un émetteur-récepteur», de Jean Pettigrew, a été indéniablement conçu et planifié en tant que texte court. Nous suivons William Koon de l’enfance à la retraite. Ce fils d’un ancien président des États-Unis entretient une relation privilégiée avec des extraterrestres, qui ont stationné une structure flottante colossale au cœur du désert du Nevada: la f.l.e.c.h.e (pour «forme lumineuse et corpusculaire hautement étrange»). On reconnaît l’humour un tantinet badin de Pettigrew, même si ce récit absurde, publié en 1988 dans le collectif Dérives 5 (éditions Logiques), n’a pas parfaitement vieilli. Le ministre de la Défense se nomme par exemple le général Trash… Cette intrigue somme toute amusante nous permet, à l’image d’un carnet de bord, d’accompagner un personnage au cours des différentes phases de son existence.

Sous un soleil oblique

Dans «Les passerelles du temps», de Daniel Sernine, Gareth Westmaas, directeur de l’IMB, tente de retrouver un collègue dont la disparation l’inquiète: «Où se cache Dérec sur notre ligne temporelle à nous?» Aurait-il trouvé refuge au sein d’une réalité alternative? Portée par le style maîtrisé et ornementé de Sernine, la novella «Les passerelles du temps» est ponctuée de belles idées et inventions, à l’instar de la station Umbra, où des parasols, qui interceptent une portion de la lumière solaire, constituent une «brochette d’araignées métalliques géantes aux pattes subdivisées, des arachnides qu’on aurait embrochés à un axe en les transperçant tous». L’intrigue reste un peu en retrait, contemplative, comme dans les trois textes mentionnés ci-dessus.

De tels propos s’appliquent à «Une histoire d’Ikuatèn», d’Élisabeth Vonarburg, qui s’avère en fin de compte un petit roman plutôt qu’une novella. Ikuatèn, alternativement homme et femme au gré des années, devient une prêtresse – une kaïthorrès – à Arrythar à cause de ses visions. Celles-ci montrent de manière récursive la destruction d’une cité. Dense, complexe, ce récit possède son lexique spécifique (chaque arbre, plante et cours d’eau est désigné par un autre mot) et un univers si développé qu’il aurait gagné à se déployer dans une œuvre plus élaborée. Ce «carnet de bord d’Ikuatèn» se révèle un texte ambitieux, vertigineux (ou une invitation à «basculer dans la lumière du Surmonde»?).

À la suite de ces quatre carnets de bord, j’ai accueilli avec enthousiasme l’intrigue plus circonscrite et moins statique de «Nina», d’Hugues Morin, dans laquelle le héros cherche son amoureuse au cœur d’un Laval devenu un État sous dôme. Pour ce faire, il doit quitter Montréal via un tunnel clandestin. Après le «texte-monde» de Vonarburg, l’écriture de Morin et l’univers qu’il dépeint m’ont d’abord paru exsangues, mais rythme et suspense viennent compenser. Dommage que certains passages voisinent le synopsis, car l’histoire clôt avec énergie Échos du centaure et entre en résonance avec «La déferlante des mères» et ses combattantes enceintes.

Ce recueil donne de puissantes munitions pour que la science-fiction déferle de plus belle au Québec, «partout, sur toutes les terres et sur toutes les mers».

 

* <republique.sixbrumes.com.>

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Alain Ducharme
Sherbrooke, Les Six Brumes
2021, 281 p., 30.00 $