Aller au contenu principal

Autocueillette

Antoine Boisclair donne peu à lire, mais chaque occasion est réjouissante. Celui qu’on connaît aussi comme essayiste, notamment sur Roland Giguère et la poésie américaine, nous offre un épatant second recueil.

Poésie

Antoine Boisclair donne peu à lire, mais chaque occasion est réjouissante. Celui qu’on connaît aussi comme essayiste, notamment sur Roland Giguère et la poésie américaine, nous offre un épatant second recueil.

Plutôt rares sont les livres de poésie dont la quatrième de couverture fournit une référence philosophique — intéressante de surcroît — qui non seulement définit le titre, mais en situe le concept dans le champ des idées:

Au sens où elle a été définie par l’environnementaliste Glenn Albrecht la solastalgie repose moins sur le désir de restituer un passé idéalisé, sur la nostalgie [je souligne] d’un âge d’or, que sur l’impression de ne plus pouvoir compter sur le réconfort ou le soulagement (solacium) [italique dans l’original] procuré par le présent et l’avenir.

C’est à l’aune de la nostalgie romantique et de sa fleur bleue que s’entend la nuance solaire du titre. Sous cet astre pâli qui éclaire le livre, la beauté connue d’autrefois assure qu’elle est révolue. Muni de la certitude que nul temps passé, actuel ou futur ne saura venir au secours d’une grandeur évanouie, que cherche à reconstruire Antoine Boisclair avec ces poèmes tristes qui chantent la laideur, l’ordinaire ou le volatilisé?

Petite entreprise

Soignés et généreux, les poèmes de Solastalgie sont d’une beauté claire qui ne défaillira pas au fil des pages. Les parcourant, on en saisira rapidement le rythme, indéfectible, et on déambulera avec l’auteur dans ces lieux choisis pour leur lustre élimé — banlieue, métropole, régions et destinations touristiques — que le poète balaie d’un regard presque neutre. Presque, parce qu’il n’est pas dénué d’une part critique, et pas la critique la plus neuve sur ce genre de lieux, mentionnons-le. Bien sûr, la banlieue est terne et endormie, bien sûr, les visites guidées en bus sont quétaines, et bien sûr que les hivers d’avant étaient plus rigoureux.

Mais on sent le poète moins préoccupé de formuler cette critique que d’exploiter l’émotion qui la fomente. Panoramas, scènes presque immobiles, les poèmes se lisent aussi dans une perspective onirique, notamment en regard du travail d’élaboration du récit qui recompose les souvenirs. Cette opération de captation en révèle même par moments les délicates limites, qui sont en définitive celles de la mémoire:

Il n’y a plus d’hiver. Ne reste qu’une longue saison morte
accompagnée de dépressions caverneuses.
Le vent maussade dort mal,
renverse les poubelles et part à la course.
Les mots sentent la boule à mites.

À travers les images toujours légèrement fuyantes, l’écriture incarne le temps présent du recueil, en ce qu’elle produit la mémoire et l’organise, mais aussi parce qu’elle nous est montrée par Boisclair en train de se faire, comme ici, dans «Valeurs refuges»:

C’est le temps des soldes.
Par la fenêtre ouverte du bureau,
j’engrange les images avant l’hiver.
Je laisse libre cours au jeu des associations
en vertu d’une économie toujours nouvelle.

Ce n’est pas l’écriture qui va au-devant des paysages, mais bien ces derniers qui s’élaborent avec elle, conjointement. Quant au mouvement lent qui parcourt l’ouvrage, il s’imprime dans le rythme des poèmes. Ce mouvement tend vers l’arrêt, une décélération qui épouse jusqu’aux images: «Lacet dénoué, la route 132 traîne au pied des montagnes/maintenant que l’après-midi se déchausse,/décapsule une bière et mange des chips./Cantines à guédilles, Gaz-O-Bar, péniches à louer.» J’ai raffolé, en passant, de ces motifs en trois temps dans les énumérations, qui contribuent à la grande cohérence du recueil. (Une autre? «Produits du terroir, poutines, inukshuks») Mais la plus notable constance du livre est celle du regard, qui n’échappe jamais une occasion de chercher à déchiffrer un monde devenu complexe, compliqué. Cette perspective est richement explorée dans le poème «Versus», où le labeur du poète qui consiste, n’est-ce pas, à faire des lignes droites, est mis en relation avec un arrière-grand-père imaginé, duquel peu a été hérité: «je regrette ses techniques, n’étant jamais parvenu,/malgré tous mes efforts, à tracer des lignes aussi droites,/n’ayant jamais réussi à faire pousser quoi que ce soit.»

Solastalgie forme un ensemble beaucoup moins déprimant qu’on aurait pu croire, se teintant même parfois d’une couleur d’espoir, «sorte d’entrain métaphysique», de vœu: «On voudrait vivre là, parmi les taches de soleil; / on voudrait vivre sans effort». L’écriture semble souvent s’amuser et provoquera assurément des sourires chez le lecteur. Le retour au quartier natal, en fin d’ouvrage, donne lieu à certaines des plus belles manifestations de l’écriture, sur fond d’une paix relative qui ne demande qu’à être cueillie:

La vie au bout des branches
pend gorgée de sens à notre portée.
Tomates, concombres, topinambours.

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Antoine Boisclair
Montréal, Le Noroît
2019, 88 p., 18.00 $