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Au coeur des luttes autochtones

Au coeur des luttes autochtones

Si nous sommes de plus en plus conscientisés aux enjeux des Premières Nations, nous connaissons toutefois peu l’histoire des mouvements de résistance autochtone au Canada.

Essai

Si nous sommes de plus en plus conscientisés aux enjeux des Premières Nations, nous connaissons toutefois peu l’histoire des mouvements de résistance autochtone au Canada.

Dans l’essai Décoloniser le Canada traduit en français par Geneviève Boulanger, le leader de la nation Secwepemc en Colombie-Britannique, Arthur Manuel (décédé en 2017), de même que le Grand Chef de la communauté de Westbank (nation Okanagan), Ronald M. Derrikson, offrent un regard personnel et complexe sur les luttes des populations autochtones de l’Ouest canadien depuis une cinquantaine d’années. L’objectif avoué de cet ouvrage consiste d’une part à mettre en lumière le militantisme autochtone au Canada depuis les années 1970, et d’autre part à démontrer qu’il faut en finir avec la mentalité colonialiste envers les Premières Nations, notamment du point de vue de la loi.

En effet, cet essai écrit au «je» s’appuie sur divers évènements historiques et politiques qui expliquent la situation actuelle, mais qui nous amènent aussi à réaliser que plusieurs traumatismes vécus par les populations autochtones sont très récents. Comme le souligne Alexandre Bacon en préface: «On ne parle pas d’une époque lointaine où des colons faisaient la vie dure aux "sauvages". Encore en 1989, les trains à destination de Schefferville, au Québec, obligeaient les Autochtones à s’entasser dans le même wagon, tous les autres étant réservés aux Blancs […]… »

Les enjeux historiques

Dans une composition de chapitres qui nous permet de suivre une certaine chronologie des évènements ayant mené à l’organisation de mouvements de résistance autochtones, nous voyons dans un premier temps les conséquences de plusieurs décisions politiques de l’histoire canadienne qui affectent encore de nos jours les nations autochtones. Arthur Manuel prend bien soin de nous parler d’entrée de jeu du territoire de sa communauté, celui de Neskonlith, qui est inconnu de la majorité des Canadiens. À travers une description bucolique, il élabore une réflexion faisant suite à une rencontre aux Nations unies en 2012, au cours de laquelle lui et ses collègues avaient tenté de faire comprendre que la doctrine de la «découverte» des Amériques par les Européens était offensante, mensongère et complètement dépassée à notre époque.

C’est ainsi que, graduellement, toujours en insérant des pensées très personnelles et des morceaux de la vie de sa famille, notamment celle de son père, Arthur Manuel nous dévoile la vision autochtone de l’appropriation territoriale par les colons, revenant sur les revendications européennes des territoires de l’Ouest canadien dès James Cook en 1778, les réactions écrites de ses ancêtres qui considéraient avoir été spoliés par les Européens, et les premiers groupes de résistance de la nation Neskonlith dans les années 1860.

L’auteur explique ensuite la loi sur les Indiens et ses modifications en 1927 du point de vue autochtone, nous amenant à réaliser l’ampleur de ses implications, surtout en ce qui a trait aux droits fondamentaux de l’homme.

Par cette loi, les Autochtones se virent pratiquement interdire de quitter leurs réserves sans la permission de leur agent local du ministère des Affaires indiennes, lequel régissait désormais presque tous les aspects de leur vie.

La montée de la résistance

Plus Arthur Manuel avance dans son récit, plus il délaisse les faits historiques pour s’attaquer aux raisons de l’organisation de mouvements de résistance. Ces derniers ont cherché depuis les années 1970 à faire prendre conscience au gouvernement canadien, mais aussi au monde entier — à travers des rencontres aux Nations unies —, les nombreuses vexations vécues par les Premières Nations même à notre époque. C’est dans cette perspective que l’auteur revient sur l’institutionnalisation des Autochtones et la dure réalité des désormais célèbres pensionnats, qu’il n’hésite pas à comparer à des prisons. Il cite par ailleurs son père, qui avait mis en garde ses enfants contre les pensionnats, leur expliquant que tout ce qu’on allait leur apprendre, c’était en fait à obéir aux ordres des autorités.

Ces premières tentatives d’écoute et de changements n’ont toutefois pas eu les résultats escomptés et cet essai, sans entrer dans le ton du reproche et sans chercher à identifier des coupables, vise surtout à rendre hommage aux combats, aux succès et aux échecs des communautés qui ont su se lever et dénoncer des mesures politiques limitatives et humiliantes.

On ne peut terminer ce livre sans ressentir de la compassion, de la révolte, mais aussi une forme de fierté envers les luttes des populations autochtones canadiennes. Cette réflexion très personnelle est un coup de poing au ventre qui nous force à voir une réalité dont nous sommes bien souvent très ignorants, en raison d’une multitude de facteurs éducatifs, sociaux, culturels et politiques. À cet égard, Décoloniser le Canada s’inscrit dans la nouvelle vague de littérature autochtone — comme Manikanetish (Mémoire d’encrier, 2017) de Naomi Fontaine ou Homo Sapienne (La Peuplade, 2017) de Niviaq Korneliussen — qui cherche à faire entendre la culture des Premières Nations. Avec cet ouvrage, une porte très intime au dialogue est ouverte et nous permet de plus à nous, Québécois, d’entrevoir l’histoire et la vie de communautés de l’autre côté du pays. ♦

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Arthur Manuel
Geneviève Boulanger
Montréal, Écosociété
2018, 350 p., 30.00 $