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MANIFESTE LQ

13 mars 2022 | MANIFESTE LQ
pour une critique libre

[manifɛst] Déclaration écrite dans laquelle un artiste ou un groupe d’artistes expose une conception ou un programme artistique.
 

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pour une critique libre

[manifɛst] Déclaration écrite dans laquelle un artiste ou un groupe d’artistes expose une conception ou un programme artistique.
 

Considérant que la place accordée à la littérature dans les médias et l’espace public ne cesse de se réduire;

Considérant qu’au sein de cet espace qui s’amenuise, on favorise de plus en plus la promotion et les «suggestions de lectures» au détriment de la critique;

Considérant que la littérature et les arts continuent de perdre du terrain médiatique au profit d’une fascination pour la personne de l’auteur·rice, pour le biographique, l’anecdote;

Considérant que l’écrivain·e a rendu publique une œuvre qui propose un discours sur le monde, et que cette œuvre peut être analysée en tant que telle, et non comme une simple extension de sa personne privée;

Considérant qu’une discussion loin d’être neuve, mais toujours aussi pertinente, semble se reformuler autrement aujourd’hui et redevenir d’actualité. Elle concerne différentes conceptions de la critique: plus empathique, plus détachée, ou qui assume ouvertement ses «coups de gueule»;

Considérant qu’une seule et même œuvre littéraire peut être commentée de diverses manières, parfois diamétralement opposées, et que ces critiques contradictoires ont autant de valeur l’une que l’autre, tant que le point de vue de chacune est rigoureusement développé et soutenu;

Considérant que la perte graduelle d’espaces consacrés à la littérature a entraîné une tendance à privilégier les critiques positives, au nom du principe qu’il vaut mieux réserver un espace qui se réduit comme peau de chagrin à ce que l’on aime plutôt qu’à ce que l’on n’aime pas;

Nous, les membres de l’équipe éditoriale de Lettres québécoises, pensons que le moment est venu d’annoncer nos couleurs en matière de critique littéraire.

Selon nous, l’espace critique ne peut pas être un lieu où l’on ne parle que de ce qu’on aime: il doit être ouvert aux débats, aux divergences, aux points de vue multiples.

Faire de la critique, c’est aimer la littérature. C’est aimer être atteint·es, secoué·es, interpellé·es, conforté·es ou contredit·es par elle dans notre rapport au monde et à l’œuvre d’art. C’est rendre compte de cette fabuleuse rencontre avec le texte d’un·e autre foncièrement autre.

Nous croyons que cet amour de la littérature, cette foi en la pensée qui anime les critiques peuvent se manifester autrement que par la complaisance, ou par l’obligation de choisir entre éloge et silence.

Il est temps d’arrêter de considérer les auteur·rices et les critiques comme deux groupes antagonistes, et de cesser de percevoir les critiques comme ayant pouvoir de vie ou de mort sur la carrière ou l’œuvre des écrivain·es.

Être publié·es, critiqué·es, débattu·es et même détracté·es est un privilège. C’est voir sa voix et son discours accéder à l’espace public. C’est voir son œuvre susciter des discussions dans la société dont elle parle, dans le monde qu’elle tente de nommer.

Il faut que notre littérature cesse de se percevoir et de se vivre comme mineure. Elle doit oser sortir de l’entre-soi et, tête haute, certaine de sa propre valeur, être proposée aux autres discours et regards, sans exiger des ménagements.

Pour nous, la critique, même «négative», est l’alliée de la littérature et l’une de ses interlocutrices les plus précieuses.

Nous avons la conviction que tout·e critique compétent·e et intègre peut critiquer n’importe quel texte qu’il ou elle juge assez légitime dans le champ littéraire. Nous refusons que les critiques soient tenu·es de parler des œuvres de leur groupe d’appartenance identitaire ou de celles émanant de la minorité dans laquelle la société les cantonne. La critique devrait aussi être un lieu où l’on rend compte de sa découverte du discours de l’autre.

Nous souhaitons que les textes de nos critiques reçoivent toute l’attention qu’ils méritent, plutôt que d’être parcourus en diagonale et réduits à un pointage. Nous voulons qu’ils soient lus pour ce qu’ils sont: des prises de parole minutieusement travaillées, portant sur ces autres prises de parole que sont les œuvres.

La critique dialogue avec l’œuvre commentée, mais appelle également à la discussion. Elle n’est pas un jugement définitif. Elle est un moment du discours sur l’œuvre, qui contribue à enrichir le mouvement de la pensée et la littérature en général. Elle est, pour reprendre les mots d’Arnaud Viviant dans son Cantique de la critique (La Fabrique, 2021), «le deuxième cœur de la littérature».

MÉLIKAH ABDELMOUMEN | rédactrice en chef
ALEXANDRE VANASSE | éditeur
NICHOLAS GIGUÈRE | directeur du cahier Critique
MÉGANE DESROSIERS | responsable des communications et des réseaux sociaux

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