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Universelle mélancolie

Universelle mélancolie

Souvent parti à l’aventure dans les œuvres d’autres artistes, Claude Beausoleil explore ici les liens unissant la poésie et le blues.

Thématique·s
Poésie

Souvent parti à l’aventure dans les œuvres d’autres artistes, Claude Beausoleil explore ici les liens unissant la poésie et le blues.

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C’est un livre chargé d’atmosphères, comme le sont souvent les recueils de Beausoleil. Rien que le titre, En un grand souffle noir, exprime toute la mélancolie émanant du blues, cet «horizon sonore à la tombée du soir». Protéiforme, l’œuvre rassemble des poèmes écrits entre 2013 et 2019. Malgré ses allures de fourre-tout, elle est unifiée par le blues comme instrument de «tension vers l’autre».

Le «souffle noir» du titre de Beausoleil, c’est «celui de la vie qui transforme la page des jours et des nuits». Pour le poète, le blues est l’âme de la musique, et il inspire la solidarité autant que l’amitié. Les liens tissés avec les créateurs ne sont ni inutiles ni déplacés: on trouve même un «Mississippi Blues», inspiré par Louis Fréchette, et on y croit. Un autre écrivain largement évoqué dans ce livre est Jack Kerouac, fasciné lui aussi par la musique américaine. Ainsi: «Ravel & Jack / ce soir de pluie / donnent à rêver / aux angoisses enfouies / d’un tourment fou».

De l’enfance à l’amitié

Ayant pour titre «En noir et blanc — souvenirs de Saint-Henri», un poème évoque l’enfance que le poète a passée dans ce quartier populaire de Montréal. Il l’a écrit après avoir regardé À Saint-Henri, le 5 septembre 1962, d’Hubert Aquin, un film de l’ONF dont j’ignorais l’existence et que j’ai trouvé sur internet. Des décennies plus tard, le poète tisse un lien avec les premiers lieux de sa vie, qui ont peut-être distillé en lui le goût du blues: «Dans ce quartier de mon enfance, le Blues rôdait comme un ange noir entre les bars, les tavernes et les gares ferroviaires.» On comprend qu’un tel espace de vie, entre gares et tavernes, ait pu faire germer dans l’esprit du poète une structure poétique s’apparentant à ce style musical.

La poésie de Beausoleil donne parfois l’impression qu’un grand souffle de liberté est passé sur sa table d’écriture: cela se traduit par une fluidité dans le texte, mais aussi une sorte de laisser-aller dont on ignore s’il est étudié ou accidentel. À titre d’exemple, la dernière partie du livre rassemble quelques poèmes portant des titres comme «Bessie Smith», «Fats Domino» ou «Nina Simone». Ce sont des textes de trois ou quatre vers dont les mots, disposés en petits escaliers — une tendance populaire chez les poètes formalistes —, occupent une grande partie de la page.

À la va-vite

Malgré les touchants hommages que contient le recueil et les nombreuses dédicaces aux amis écrivains, aux créateurs rencontrés en voyage au fil des ans, En un grand souffle noir donne souvent l’impression d’avoir été écrit à la hâte. Il s’en dégage un côté brouillon que l’éditeur aurait pu corriger en élaguant et en resserrant le tout. Bien sûr, on sait que Beausoleil se situe très loin du ciselage d’orfèvre. Peut-être est-ce la forme relâchée de certaines pages, le sujet lui-même qui favorise ce relâchement, mais on croirait que le poète, sous le coup d’une subite inspiration, a écrit une partie de ses textes à toute vapeur, debout à un comptoir, griffonnant, avant de sortir, quelques vers qui ne seront pas retouchés: «Mexico en échos chuinte bouleversée / New York Soho drinks straight à flot / le Blues contrasté envers d’une sonate / la musique & ses ombres / en question s’entrelacent / vibrations failles & délicatesses / sortie / exit out».

Pourtant, Beausoleil se montre tout à fait apte à comprendre et à nous expliquer l’essence et la portée du blues. Il saisit à merveille les origines, la vocation de ce style musical ainsi que son intemporelle beauté. Le texte justificatif qu’on trouve à la fin du livre, «Fascinations», illustre bien ce fait: toute la sensibilité du poète ainsi que sa capacité à recevoir et à transmettre l’énergie des autres se confirment dans sa poésie. L’un des derniers poèmes, intitulé «Blues sans retour» et inspiré par Leonard Cohen, plonge le lecteur dans le nihilisme: «Noir le jour / Noire la vie / Noire la nuit / sans espoir / sans fin / sans illusion / sans visage ». Ainsi nous est dévoilée la partie la plus obscure de la conscience du poète. Le lecteur déplorera cependant que l’ensemble du livre ne reflète pas toujours une précieuse attention aux mots.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Claude Beausoleil
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2019, 146 p., 17.00 $