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Une spirale à l'oeuvre

Dans cet ouvrage consacré à Robert Lepage, Ludovic Fouquet rend compte des audaces formelles d’un créateur d’envergure, un artiste qui ne cesse de repousser les limites de son terrain de jeu.

Théâtre

Dans cet ouvrage consacré à Robert Lepage, Ludovic Fouquet rend compte des audaces formelles d’un créateur d’envergure, un artiste qui ne cesse de repousser les limites de son terrain de jeu.

Robert Lepage a rejoint d’illustres collègues, notamment Denis Marleau, Ariane Mnouchkine (la seule femme !), Thomas Ostermeier et Ivo van Hove, dans la collection « Mettre en scène » dirigée par Béatrice Picon-Vallin aux éditions Actes Sud-Papiers, une vingtaine de plaquettes consacrées depuis le début des années 2000 à de grandes figures de la mise en scène théâtrale des XXe et XXIe siècles. C’est Ludovic Fouquet, titulaire d’un doctorat portant sur l’utilisation de la technologie dans les mises en scène de Robert Lepage — à qui l’on devait déjà Robert Lepage, l’horizon en images (L’instant même, 2005) —, qui a réalisé l’entretien et qui signe la présentation.

Chemin parcouru

Cet ouvrage, bilan d’une carrière foisonnante, synthèse de ce qu’il est convenu d’appeler la « méthode Lepage », s’appuie sur un entretien avec le metteur en scène réalisé le 7 novembre 2017, c’est-à-dire plus ou moins six mois avant le déclenchement d’une vaste controverse autour de la notion d’appropriation culturelle. Tout de même, on s’étonne que le livre, paru à l’automne 2018, donc peu de temps avant que Kanata prenne l’affiche au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, et que SLAV soit présenté en tournée à travers la province, ne fasse pas du tout mention des enjeux soulevés à propos de ces spectacles par les communautés noire et autochtone.

Faute d’ouvrir de nouvelles voies de réflexion sur le travail de Lepage, cette plaquette constitue un excellent résumé du chemin parcouru, un habile compte rendu, idéal pour les étudiants souhaitant s’initier à la démarche d’un créateur d’exception, de ceux qui repoussent sans cesse les limites de leur art. Cette propension à poursuivre continuellement l’exploration, Ludovic Fouquet, dans son introduction survolant l’œuvre imposante et polymorphe de Lepage, n’hésite pas à la comparer à une spirale : « Les dernières années sont la preuve d’un déploiement d’activités et de talents saisissants ! La spirale se déroule de plus en plus loin ! » Il est vrai qu’au fil des ans, la pratique de l’artiste n’a cessé de se décloisonner. Création et répertoire, danse et théâtre, opéra et théâtre musical, pièces collectives et solos, l’homme ne s’interdit rien.

Conception du théâtre

L’entretien est divisé en quatre parties : « Les débuts », « Processus de création », « Croiser les disciplines » et « Nouveaux horizons ». Lepage relate son coup de foudre pour le théâtre : « La scène me paraissait comme un lieu généreux, accueillant, qui ne semblait pas avoir de préjugés et où il y avait de la place pour tout le monde. » Interrogé sur son rapport à la solitude, il explique : « La forme du solo me permet d’exprimer un sentiment d’isolement qui est souvent le mien. Bien que je sois accepté dans la société, dans la communauté théâtrale, j’ai toujours ce sentiment de me sentir isolé. » Puis il emploie une très belle métaphore pour caractériser son art : « […] le théâtre, c’est le phénix, c’est l’incarnation du phénix, le feu qui s’éteint tous les soirs et surgit de ses cendres le lendemain. » Le créateur explique qu’il conçoit le théâtre comme « la fête de la lumière » : « Le rôle du théâtre est d’amener la lumière… […] Le feu nous fascine, il nous plonge dans un état de transe, dans lequel les mots, les paroles, les récits veulent dire autre chose. »

Enfin, le metteur en scène fournit des informations techniques (étonnantes) et financières (saugrenues dans ce genre d’ouvrage) à propos du Diamant, lieu de création et de diffusion dans lequel Ex Machina (la compagnie qu’il dirige) devrait s’installer au printemps 2019, soit vingt-deux ans après l’inauguration de la Caserne. Lepage explique que le Diamant lui permettra de reprendre certains spectacles de son répertoire, comme Les sept branches de la rivière Ota, dont la recréation est annoncée pour 2020. « Le répertoire sert à continuer à écrire, précise-t-il. Il n’est pas là comme un album photos de ce qu’on a fait il y a vingt-cinq ans. Il est là pour continuer le dialogue, pour dire les choses qu’on sait maintenant et qu’on ne savait pas auparavant. »

Tout en reconnaissant la rigueur de l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de déplorer que l’entretien, trop bref, ne constituant que la moitié du livre — alors que repères chronologiques et bibliographie sélective occupent vingt-cinq pages ! — ne concerne pour ainsi dire que la forme, et bien peu le fond. Ainsi, on aborde volontiers la méthode, les dispositifs et les ressources techniques, en somme l’esthétique, mais à peu près pas les thèmes, les enjeux, les personnages ou la langue de Lepage. Un parti pris d’autant plus ironique que le créateur estime lui-même que le temps l’a rendu « plus habile à faire dialoguer la forme et le fond ». ♦

Auteur·e·s
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Auteur
Article au format PDF
Ludovic Fouquet
Arles, Actes Sud
Mettre en scène
2018, 128 p., 24.95 $