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Une bédéiste en cavale

Réunis puis commentés a posteriori, les carnets de résidence d’Iris nous transportent aux quatre coins de la planète.

Thématique·s
Bande dessinée

Réunis puis commentés a posteriori, les carnets de résidence d’Iris nous transportent aux quatre coins de la planète.

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Publié à Pow Pow, Occupez-vous des chats, j’pars! rassemble les péripéties d’une «little desperate Iris» (comme l’autrice se plaît à se décrire), qui décide de saisir – voire de générer – des occasions pour créer et présenter son travail à l’étranger. Au moment où commence l’album, Iris, qui a déjà fait paraître un livre et quelques fanzines, désire se consacrer pleinement à un nouveau projet. Elle se sent coincée à Montréal, engluée dans une blessure sentimentale qui ne cicatrise pas. L’appel de l’aventure se fait alors sentir, d’autant plus que son réseau de contacts s’est élargi, et que plusieurs auteur·rices – notamment Lisa Mandel et Boulet – sont prêt·es à la recevoir en France. C’est la première expérience du genre pour Iris, qui se rend par la suite en Belgique, en Russie et même au Japon.

Le récit des aléas quotidiens, auquel s’entremêlent l’émerveillement et la découverte de l’inconnu propres aux voyages, nous ramène à l’âge d’or des blogues autobiographiques de bande dessinée, mais avec un certain recul. En effet, l’ouvrage d’Iris est bonifié par des chapitres qui font le pont entre l’avant et l’aujourd’hui, qui précisent des anecdotes ou en racontent de nouvelles, et ce, afin de mieux saisir ce que le voyage implique dans le parcours professionnel, mais surtout personnel, de l’autrice.

Faire partie de la bande

Un des thèmes qui ressort particulièrement de l’album est l’importance de l’amitié et du réseautage dans la carrière d’Iris. Je ne parle ni d’amitiés personnelles proprement dites, ni de favoritisme, ni de cinq à sept organisés pour rentabiliser son PR, mais plutôt de cercles de pairs qui accueillent avec bienveillance l’autrice voyageuse; d’une forme de solidarité artistique qui semble aller de soi dans la communauté où elle fraie. L’album donne à voir comment ces expériences positives et enrichissantes encouragent les artistes dans le développement de leur démarche et le raffinement de leur style, par exemple quand Iris détaille l’évolution de son autoportrait dans ses bédés, de la colorisation de ses cheveux à la manière de tracer son nez.

La narratrice évolue donc dans le regard de ses pairs. Les moments où elle manifeste son enthousiasme vis-à-vis des artistes qu’elle rencontre comptent parmi mes passages préférés de l’album. Sans tomber dans l’énumération de «vedettes», Iris insiste plutôt sur la vivacité d’un milieu, mais également sur l’importance de l’entraide et des collaborations dans son parcours. Les ateliers collectifs fréquentés, les petits cafés pittoresques ou encore les soirées dans des bars de quartier constituent autant d’occasions pour aborder concrètement la pratique de la bande dessinée, tantôt en commentant l’évolution de son dessin, tantôt en attestant du foisonnement des genres, des démarches et des possibilités de collaboration. De ses expériences en résidence, Iris retient qu’elle peut rêver grand, malgré les vertiges que cela occasionne.

Partir pour se découvrir

Car Iris rend aussi compte, avec honnêteté, des moments plus difficiles de ses débuts. Son syndrome de l’imposteur persiste en dépit des encouragements reçus. Il faut dire qu’il y a beaucoup de risques à prendre pour créer, et que cette mise en danger de soi doit être contrebalancée par une bonne dose de confiance. Il s’agit d’un équilibre difficile à atteindre, surtout en début de carrière. À cela s’ajoutent des enjeux pécuniaires, car la précarité fait partie intégrante de la réalité des jeunes artistes. Iris illustre bien comment les difficultés financières s’arriment à ses questionnements liés à la légitimité de son travail. Sans pour autant laisser entendre que ces anxiétés disparaissent avec le temps ou selon l’avancement d’une carrière (en fait, l’autrice nous confirme que ce n’est pas le cas), Iris révèle de quelles manières celles-ci l’ont affectée dans son cheminement et comment elle a pu traverser plusieurs épreuves grâce à un réseau de soutien et à sa propre détermination. Par son authenticité et son humour, la bédéiste parvient à toucher ses lecteur·rices, même si tous·tes n’aspirent pas à faire de la bande dessinée.

Si j’ai apprécié cette (re)plongée dans les carnets de résidence d’Iris et les enjeux qu’ils soulèvent, il ne faut pas s’attendre à lire un récit dense ou même dramatique. Les épisodes racontés font certes surgir des questionnements et des réflexions plus profondes, mais en grande partie, ils s’appuient sur des anecdotes de voyage tragico-comiques et de courtes chroniques culinaires (qui, d’ailleurs, donnent très faim). On ne devrait pas bouder son plaisir pour autant, car c’est une excellente lecture pour se réconcilier avec la fin du confinement et le retour des interactions sociales.

Avec Occupez-vous des chats, j’pars!, Iris nous rappelle l’importance de prendre des risques, de se laisser entraîner au hasard des rencontres. Une traversée qu’il vaut la peine de tenter.

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Iris
Montréal, Pow Pow
2021, 198 p., 27.95 $