Aller au contenu principal

Un vieux con sympathique

Un vieux con sympathique

Denis Vaugeois a défrayé les manchettes en février dernier pour avoir minimisé l’importance des pensionnats autochtones au Québec. Qu’en est-il du livre dont il faisait la promotion?

Thématique·s
Essai

Denis Vaugeois a défrayé les manchettes en février dernier pour avoir minimisé l’importance des pensionnats autochtones au Québec. Qu’en est-il du livre dont il faisait la promotion?

Thématique·s

Tous les historiens au Québec connaissent Denis Vaugeois. Ex-ministre péquiste, fondateur des Éditions du Septentrion, coauteur du best-seller Canada-Québec avec Jacques Lacoursière et Jean Provencher, Vaugeois est un éléphant dans le petit monde de l’historiographie québécoise, un incontournable qui a laissé sa marque tant chez les spécialistes que dans la sphère publique.

C’est sans doute par déférence pour cette carrière exemplaire que le professeur à l’UQAM Stéphane Savard a pondu ce livre-bilan constitué d’une série d’entretiens avec Denis Vaugeois, qui retracent son parcours, de son enfance en Mauricie jusqu’à aujourd’hui en passant par le travail d’éditeur et les bancs de l’Assemblée nationale.

Ce genre d’exercice reste généralement discret. On organise un lancement, on choisit un joli lieu, on commémore l’œuvre, on se fend de « je serai bref », on applaudit, un léger goûter est servi avec un vin d’honneur : voilà l’exercice de célébration accompli, la carrière couronnée, pas vraiment besoin de lire le livre. Dans le cas de Vaugeois, les choses se sont déroulées un peu différemment.

Une controverse

Il faut dire que, comme personnage, Denis Vaugeois ne laisse pas sa place. Peu adepte de la langue de bois, on aura pu apprécier les talents de conteur de l’historien dans ses apparitions télévisuelles, et on aura su rester perplexe lors de son passage récent à l’émission de Marie-Louise Arsenault sur les ondes de Radio-Canada.

Durant ces quelques longues minutes, Vaugeois aura eu le temps de dire que l’antisémitisme était « un mystère », que les pensionnats autochtones n’étaient « pas une réalité québécoise » et que le député Romeo Saganash n’avait « pas vraiment » fréquenté un de ces établissements (c’est faux). Il n’en fallait pas plus pour que certains lui reprochent d’être un peu gâteux, voire de donner cette vieille version de l’histoire nationale qui hante encore les corridors de nos augustes institutions.

Force est d’admettre que ces reproches ne sont pas entièrement injustifiés. La lecture du Denis Vaugeois de Stéphane Savard nous montre souvent ce personnage adepte du roman national et romantique dans son rapport au peuple. Son souvenir décomplexé du duplessisme, son élitisme aussi, qui lui fait célébrer les collèges classiques qui auraient « permis à des jeunes de devenir les réformateurs des années 1960 » (en laissant la majorité moins fortunée sans éducation supérieure, rappelons-le), son apologie d’un Québec « métissé » plus fictif que réel, sa défense du Québec de souche, qui serait dans une sorte de compétition avec d’autres groupes ethniques : tous ces éléments nous donneraient parfois envie de mettre un coup de mailloche au vieux siffleux, ou du moins de lui dire de dégager enfin qu’on respire dans cette triste province dont le récit historique ressemble trop souvent à une tablée de la Société Saint-Jean-Baptiste.

Mais…

Pourtant, Vaugeois a quelque chose comme une dégaine, un bagout de vendeur de chars qui le rend éminemment sympathique. C’en est énervant, mais il a le chic d’entremêler anecdotes et récit historique, même lorsqu’il tombe dans ses rengaines. C’est encore mieux quand il justifie sa lecture d’une histoire nationale fondée sur la diversité. « [L]e sentiment identitaire, pour moi, ce n’est pas un repli sur soi, c’est le contraire, il est inclusif », écrit-il.

Cette inclusion a ses limites, bien sûr, Vaugeois a beau avoir travaillé sur les Hurons ou les juifs, sa perspective reste indéniablement collée à celle du Canada français. On a bien sûr envie de hurler quand il écrit « Quand je fais de l’histoire, je ne fais pas de politique » tant tout, au contraire, est politique chez lui, mais le nationalisme de ses travaux (dont il tente de se dégager) n’est pas tout à fait celui de ses successeurs.

En effet, à travers cette autobiographie intellectuelle se découvrent des inspirations ouvertes et diversifiées, le jeune Vaugeois allant s’abreuver tant du côté de l’École de Montréal avec les Maurice Séguin, les Marcel Brunet et les Guy Frégault (des historiens néo-nationalistes), que du côté de l’Université Laval avec les Fernand Ouellet ou les Marcel Trudel (des historiens sociaux plutôt critiques du nationalisme).

On comprend alors mieux la désinvolture du Vaugeois de Radio-Canada. Le vieux con qui s’est présenté au micro de Marie-Louise Arsenault ce jour-là avait derrière lui toute une culture de liberté et de contradiction qui peut paraître décalée à l’ère de l’indignation rapide.

La lecture du Denis Vaugeois de Stéphane Savard nous montre au contraire l’idéal humaniste derrière ce ton bourru et la grossièreté de certaines de ses affirmations. Il y a là un parti pris pour un « nous » québécois et francophone, certes, mais ce parti pris devient aussi la base d’une reconnaissance de l’autre à travers une sorte de noble combat d’escrime. On aimerait bien sûr que ses successeurs aient ce côté chevaleresque, que le nationalisme ne soit pas devenu cette fosse sans dialogue où s’enferme l’identité pour y mourir, mais ça, c’est une autre histoire. ♦

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Stéphane Savard
Montréal, Boréal
2019, 376 p., 29.95 $