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Un peu de douceur

Dans son premier album, Mireille St-Pierre raconte un drame terrible (une fausse couche) et le fait avec une grande beauté.

Bande dessinée

Dans son premier album, Mireille St-Pierre raconte un drame terrible (une fausse couche) et le fait avec une grande beauté.

Affirmons d’emblée que le monde de la bande dessinée compte maintenant une nouvelle membre en la personne de Mireille St-Pierre. Voici une œuvre achevée dont la facture est toute personnelle. Illustratrice depuis une quinzaine d’années et lauréate de plusieurs prix, la bédéiste signe, avec La brume, un récit intime rempli de poésie et de douleur. Entre les chansons d’Oasis, de Leonard Cohen et de Dumas, entre des cases noires et d’autres d’une luminosité éblouissante, la difficile épreuve que traverse Myriam, le personnage principal, est dépeinte avec justesse.

Quand la vie s’arrête

Myriam est enceinte. Elle tente de profiter pleinement de ce que plusieurs qualifient de moment de grâce, mais les doutes l’assaillent: et si elle n’était pas à la hauteur de la situation? Côté boulot, elle trime dur sur ses illustrations, éternelle perfectionniste. Quand Jules, son amoureux, l’invite à séjourner à New York (où il doit photographier Sam, un chanteur québécois qui enregistre un album dans un studio de Brooklyn), elle hésite avant d’accepter de l’accompagner.

Les premières pages donnent le ton au livre: St-Pierre prend son temps. Les planches sont aérées. Le dessin rappelle un peu le trait de Manu Larcenet dans Le combat ordinaire (Dargaud, 2003). La physionomie des personnages n’est pas réaliste, mais elle ne sombre pas non plus dans la caricature la plus totale, avec des héros affublés de gros nez et d’yeux exorbités. Seul Sam prend la forme d’une espèce de Barbapapa gris foncé.

Autant Myriam a de la difficulté à trouver ses repères, autant St-Pierre cerne admirablement bien son héroïne dans la ville. Les doutes et la peur constante d’être jugée sont perceptibles dans la posture de la protagoniste, qui a souvent la tête penchée, même lorsqu’elle ne dessine pas.

Quelques couleurs et différentes tonalités de gris traversent le livre. Lorsque la tragédie survient, les teintes de gris et le noir priment. L’économie de moyens rend le propos encore plus percutant. La sobriété qui émane des deux dernières planches de cette séquence est d’autant plus marquante: Myriam et Jules, désormais seuls, n’ont presque plus rien à se dire. Puis, par le biais d’une scène belle, lumineuse, presque onirique, l’autrice laisse un peu d’espoir à ses lecteur·rices.

Le cours des jours

La vie reprend péniblement son cours pour Myriam. Ou peut-être serait-il plus juste d’écrire que le personnage tente de reprendre sa destinée en main. Toutefois, cette partie de l’ouvrage est celle où la dessinatrice cherche (vainement) le ton approprié. Les discussions qu’ont les amoureux à la sortie du lancement de l’album de Sam sonnent faux. St-Pierre frôle ici le cliché. Les stéréotypes prolifèrent également dans les premières planches, où Jules dit toute son admiration pour Oasis, tandis que Myriam affiche son côté nerd et parle de sa passion pour Star Wars. La case où les frères Gallagher, guitariste et chanteur du groupe, entourent Jules n’apporte rien au récit, sinon qu’elle souligne à gros traits que les personnages sont «dans le vent» et qu’ils intellectualisent la culture populaire.

Plus loin dans l’album, Myriam, après sa fausse couche, regarde une scène de Star Wars, dans laquelle le sage Yoda explique à Luke Skywalker qu’il a échoué parce qu’il «n’y croyait pas». On sent que l’autrice a voulu se faire plaisir en insérant cette référence, ce qui en soi n’est pas une mauvaise idée, mais les lecteur·rices jugeront peut-être que l’entourloupette est un tantinet lassante.

Heureusement, les dernières planches rattrapent ces quelques légers défauts. Grâce à la chanson Hey, That’s No Way to Say Goodbye, de Leonard Cohen, la protagniste parvient à trouver un certain sens à cette épreuve et à la transformer en expérience plus positive. La musique devient signifiante: elle permet à St-Pierre de souligner une émotion. C’est en nous montrant son personnage dans toute sa vulnérabilité et en nous laissant pénétrer son âme blessée que l’autrice réussit à nous transporter.

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Mireille St-Pierre
Montréal, Nouvelle adresse
2020, 192 p., 34.00 $