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Un homme libre

La biographie que Jean-Fred Bourquin consacre au regretté Paul Buissonneau, monument du théâtre québécois, s’avère fouillée et sentie malgré quelques maladresses formelles.

Théâtre

La biographie que Jean-Fred Bourquin consacre au regretté Paul Buissonneau, monument du théâtre québécois, s’avère fouillée et sentie malgré quelques maladresses formelles.

Paul Buissonneau aura sans contredit été l’un des grands réformateurs du théâtre québécois. En soixante-trois ans de carrière, de l’aventure de la Roulotte jusqu’à la fondation du Théâtre de Quat’Sous en passant par la mise au monde du personnage de Picolo, l’homme aura changé le cours des choses, élargi nos horizons, renouvelé notre pratique théâtrale. Avec sa passion légendaire, toujours là pour encourager, mais aussi pour houspiller, il aura soufflé à pleins poumons dans les voiles de la Révolution tranquille.

Dans la biographie qu’il consacre à celui qui était son ami, et ce dès les années 1980, Jean-Fred Bourquin écrit:

De sa scène, il assistait aux changements progressifs dans une société en mutation. Il l’accompagnait à sa manière en ouvrant le paysage théâtral grâce à des pièces d’auteurs étrangers, à de nouvelles formes d’écriture, à des mises en scène inventives et aux pièces de jeunes dramaturges qu’il accueillait dans son théâtre.

Au réalisme, le créateur a opposé son imaginaire débridé. Gabriel Arcand, qui était de la troupe de la Roulotte en 1967, explique: «Paul a apporté une espèce de folie, de fantaisie, de réinvention du théâtre.» Dans un texte inédit intitulé «À tous les enfants du monde», Buissonneau écrivait:

Le théâtre, c’est jouer. Jouer le jeu dans les règles, et puis réinventer les règles du jeu. Jouer en s’évadant soi-même pour se regarder de l’extérieur et ensuite réintégrer sa propre peau afin de s’y comprendre et de s’y sentir mieux.

Des héritiers

Combien d’artistes et d’artisans ont vu leur carrière profondément transformée par leur rencontre avec Paul Buissonneau? Combien de spectateurs et de téléspectateurs, jeunes et moins jeunes, n’oublieront jamais les émotions que l’homme leur aura procurées? Dans la tête et le cœur de ces gens, le créateur est toujours bien vivant. C’est certainement ce qui a incité le Suisse Jean-Fred Bourquin, docteur en psychologie sociale et éditeur, à interroger trente-six des «héritiers» de l’homme de théâtre, parmi lesquels Andrée Lachapelle, Yvon Deschamps, Ginette Noiseux et François Barbeau.

À son contact, écrit Bourquin, des auteurs, des comédiens, des metteurs en scène, des scénographes, des costumiers, des mimes ainsi que des chanteurs, des danseurs et des chorégraphes se sont formés et ont puisé l’énergie de leur propre éclosion. Cette dynamique a indéniablement contribué à faire surgir un imaginaire, une écriture et un théâtre québécois.

À ces nombreux témoignages, l’ouvrage entrelace des entretiens réalisés avec l’homme de théâtre et des textes autobiographiques qu’il a signés, essentiellement tirés d’un livre paru chez Stanké en 1991, Les comptes de ma mémoire. Pour raconter la vie d’un homme né à Paris en 1926 et mort à Montréal en 2014, le biographe adopte une approche plus thématique que chronologique, procédant à des allers-retours dans le temps qui ne sont pas toujours éclairants. Il y a parfois trop de détails, des informations anecdotiques qui plombent le récit, sans parler des passages où l’auteur s’éloigne franchement de son sujet pour verser dans l’histoire du Québec et de son théâtre. Heureusement, le destin de Buissonneau est assez captivant pour transcender tout cela.

L’homme et l’artiste

Il y a d’abord l’enfance dans le 13e arrondissement: la pauvreté, la guerre, la mort du père alors qu’il a cinq ans, puis celle de la mère dix ans plus tard. Mais aussi les beaux moments, comme la collaboration avec les Compagnons de la chanson, la rencontre avec Piaf, puis le départ pour Montréal en 1950. Ensuite, c’est la Roulotte, qui se produira pendant trente ans et, pour ainsi dire en même temps, Picolo et La boîte à surprises, qui vivront vingt ans. En 1965, après maints efforts, c’est l’inauguration du Quat’Sous, un lieu que Buissonneau va diriger avec poigne jusqu’en 1983.

Il y a des ombres et des lumières dans le portrait que dresse Jean-Fred Bourquin, on y voit les qualités et les défauts de l’homme et de l’artiste, mais surtout l’ampleur de son legs. De là où il se trouve maintenant, Paul Buissonneau semble continuer de nous inciter à saisir pleinement la liberté fondamentale qui nous est offerte:

Je souhaite à tous, hommes, femmes et enfants, une Liberté sans restriction et disponible en tout temps. Elle est la clé de notre survie et de la création.♦

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Jean-Fred Bourquin
Montréal, Boréal
2017, 340 p., 29.95 $