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Un duo prometteur

Alors que plusieurs bédéistes québécois tentent de se démarquer du modèle «traditionnel» européen, Jacques Lamontagne, lui, s’en inspire sans pudeur.

Bande dessinée

Alors que plusieurs bédéistes québécois tentent de se démarquer du modèle «traditionnel» européen, Jacques Lamontagne, lui, s’en inspire sans pudeur.

Déjà connu pour les séries Aspic et Les druides dont il s’était chargé des illustrations, l’auteur nous offre son premier album entièrement conçu seul. Son récit policier prend ses sources dans un fait historique, soit la grande inondation de mélasse à Boston en 1919. Toutefois, ce désastre n’est que la trame de fond de l’aventure qui, malgré toute la bonne volonté de Lamontagne, reste emmurée dans un scénario trop convenu. C’est dommage, car l’auteur tient un bon filon avec les personnages de Shelton et Felter.

Arrangé avec le gars de la bande dessinée

Les vingt premières planches laissaient pourtant présager de belles choses. Nous sommes à Boston, en 1924, sur une scène de crime. Les policiers cherchent à élucider la mort d’un juge, abandonné sans vie dans la rue. Le boxeur devenu reporter, Isaac Shelton, se trouve sur les lieux, ainsi que Thomas Felter, libraire. Ce dernier, par ses fines observations, reconstitue la mort du magistrat avant qu’un policier confirme ses dires, ce qui fascine le reporter qui se tient à ses côtés. Physiquement, les deux personnages ne peuvent être plus opposés. L’ancien boxeur est, bien entendu, costaud tandis que l’autre fait la moitié de sa taille, lunettes rondes sur le nez et moustache proéminente. Classique et convenu comme duo de héros, la formule a déjà fait ses preuves.

Shelton revient plus tard vers le libraire pour qu’il l’aide à résoudre un meurtre des plus bizarres: un homme a été retrouvé mort avec deux litres de mélasse dans les poumons. En fait, ce n’est que le premier d’une longue série d’assassinats… Voilà une bonne idée scénaristique qui renvoie au drame survenu cinq ans plus tôt, le déversement de plus de neuf millions de litres de mélasse dans une partie de la ville. Une vingtaine de personnes y avaient perdu la vie. L’arrivée d’un jeune trafiquant d’alcool (nous sommes en pleine prohibition américaine) dans l’enquête des deux héros les mène sur une bonne piste. Néanmoins, Jacques Lamontagne bâtit une histoire aux rebondissements qui semblent un peu trop «arrangés» pour être vraisemblables. Ainsi, le dénouement doit être expliqué en quatre planches tellement il est compliqué. Le lecteur a l’impression que tout a été trop bien placé pour réellement y croire, un peu comme dans un mauvais feuilleton policier.

Réussite graphique

Malgré les lacunes du récit, l’album reste une lecture agréable en bonne partie à cause des magnifiques dessins de Jacques Lamontagne. Ses personnages sont expressifs, à mi-chemin entre la caricature et le réalisme. On sent la recherche pour chacun d’entre eux, secondaires comme principaux, de traits propres à chacun. Les décors sont tout aussi réussis. Là encore, l’auteur a fait ses devoirs et arrive à reconstituer le Boston du début du xxesiècle de belle façon. Le cahier graphique qui accompagne le premier tirage de l’album présente d’ailleurs les photos utilisées par le dessinateur et les croquis qu’il en a tirés.

La grande force de Jacques Lamontagne réside dans son découpage et les angles de vue choisis. L’action est souvent montrée en plongée, ponctuée de détails qui situent habilement le lecteur. Les gros plans sont utilisés avec parcimonie, mettant davantage l’accent sur les émotions des personnages que sur leurs réactions face au danger. Les cases sont alignées de façon classique, mais puisque les plans sont variés, le rythme de l’album est soutenu. Soulignons aussi le travail magistral de la coloriste Scarlett Smulkoski, qui n’abuse pas d’effets inutiles. Les scènes de nuit sont belles, claires et stylisées.

Les clichés abondent malgré tout dans La mort noire, autant dans la relation entre Shelton et Felter que dans l’intrigue qui s’embourbe à chaque page. De plus, les personnages féminins sont inexistants, ramenant encore là le lecteur à un univers dépassé, même pour une œuvre se déroulant au début du siècle dernier. Jacques Lamontagne aurait peut-être intérêt à s’adjoindre un scénariste qui saurait mener ses héros plus loin. Le style y est, il ne manque que le contenu.♦

Auteur·e·s
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Jacques Lamontagne
Loverval (Belgique), Kennes
2017, 48 p., 24.95 $