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Tendre banlieue

Première tentative en bande dessinée réussie pour l’autrice Sophie Bienvenu, et encore une fois, Julie Rocheleau en met plein la vue avec ses dessins.

Bande dessinée

Première tentative en bande dessinée réussie pour l’autrice Sophie Bienvenu, et encore une fois, Julie Rocheleau en met plein la vue avec ses dessins.

La romancière Sophie Bienvenu n’a jamais caché son amour presque démesuré pour la race canine. Tant dans son œuvre littéraire que dans sa vie personnelle, les chiens ont toujours tenu une place importante. Cependant, comme celui de son roman Chercher Sam (Cheval d’août, 2015), le chien de Traverser l’autoroute fait surtout surgir l’humanité chez des personnages en quête de sens. Cette fois-ci, c’est en banlieue que Bienvenu campe son action, remâchant au passage des clichés quelque peu éculés (oui, la plupart des banlieusards possèdent une tondeuse à gazon: ça commence à se savoir). Heureusement, ces lieux communs ne gâchent en rien le reste de l’album. La dessinatrice Julie Rocheleau, encensée pour son travail dans la trilogie La colère de Fantomas (Dargaud, 2013 à 2015) et pour l’album Betty Boob (Casterman, 2017), amène le récit plus loin avec un trait fin, précis et détaillé.

Vie plate

Les premières planches de l’album nous présentent André, le personnage principal. Arrivé à ce qu’il croyait être la réussite, il habite en banlieue avec sa femme, qu’il a déjà aimée, et son fils adolescent, qu’il croit avoir «raté». En quelques dessins, le lecteur cerne le type en question. En se regardant dans le miroir, tandis qu’il se brosse les dents, André réfléchit à son existence, à ce qu’il possède. Puis sa femme, déjà au lit, lui rappelle qu’il doit aller faire pipi. Il retourne à la salle de bain, s’assoit sur le siège de la cuvette et s’exécute. C’est avec ce genre de détails que l’autrice et l’illustratrice peaufinent le personnage, qu’elles nous font cerner la personnalité de ce pauvre bougre. Il affirme que Danielle, sa femme, vit «au cas où», tout comme lui d’ailleurs.

Rocheleau a une fascinante manière. Son sens du découpage et du rythme rehausse les dialogues, déjà savoureux, de Bienvenu. La rencontre entre Danielle et André, sur fond de musique de The Cure, est éclatante de couleurs, tout comme la naissance de leur fils. Les lecteurs sont ensuite replongés dans la morosité, celle du fils, désabusé de sa vie amoureuse et familiale. Pour lui, son père est un con. Et vice versa. Cependant, on sent qu’ils sont unis dans cette lassitude: on voit le jeune s’examiner devant le miroir de la salle de bain, comme son père quelques pages plus tôt, et arriver aux mêmes désolantes conclusions. Il en a assez de se faire dire comment agir, qu’on lui répète que tant qu’il demeure sous le toit familial, il doit obéir aux règles de la maison. La seule personne qui lui faisait du bien, c’était son amoureuse. Après avoir constaté le manque d’envergure du pauvre garçon, elle l’a laissé tomber. Et si on en croit le discours du garçon, le gouffre dans lequel il se trouve ne semble pas avoir de fond.

La bête

Un dimanche, alors que tout semble normal, Danielle invite sans prévenir les voisins à souper. Déjà frustré de ne pas pouvoir regarder Tout le monde en parle en direct, André doit retourner à Montréal chercher un gâteau et, de plus, amener son fils avec lui parce que ce dernier a une course à faire. Dire que l’ambiance est glaciale dans la voiture est un euphémisme. Sur le chemin du retour, le père et le fils passent tout près d’avoir un accident, alors qu’un chien, surgi de nulle part, les force à se ranger sur l’autoroute. Pour une raison qui nous est expliquée dans l’album, mais que je ne dévoilerai pas ici, André cherche par tous les moyens à attraper le chien, quitte à traverser l’autoroute.

Ces vingt-cinq planches sont une leçon de bande dessinée de Rocheleau. Son dessin est véritablement plus grand que nature. Son choix de cadrage et son trait nerveux dans les cases «d’action» incitent le lecteur à tourner les pages à une vitesse folle pour connaître la suite.

Le récit se clôt de façon somme toute prévisible, mais là n’est pas la force de cet album. Bienvenu a créé des personnages qui ne sortent pas de l’ordinaire, mais c’est justement ce côté quelconque qui les rend incarnés. Vouloir trouver, ou retrouver, le bonheur, c’est la quête de ce père. Dans les premières planches, il apparaît comme faible et ennuyant. Or, même s’il n’a pas vraiment évolué à la fin du livre, sa façon d’être touche le lecteur, qui comprend mieux sa motivation. Souhaitons maintenant que cette première collaboration entre l’autrice et la dessinatrice ait une suite.

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Sophie Bienvenu, Julie Rocheleau
Montréal, La Pastèque
2020, 88 p., 27.95 $