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Sue se fait plaisir : l’art de la fanfiction

Sue se fait plaisir : l’art de la fanfiction
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Le labo
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Un utilisateur de l’Urban Dictionary illustre ainsi l’art de la fanfiction: «Sue est tellement fâchée de ne pas voir ses deux personnages favoris devenir un couple qu’elle décide d’écrire sa propre histoire dans laquelle ils couchent ensemble et se marient.» (Traduction libre)

N’en déplaise à cet utilisateur du Dictionnaire urbain, il se peut que l’envie d’écrire de Sue provienne de plus loin. Peut-être que Sue fait partie d’un fandom, oui, mais peut-être aussi que, pour elle, l’expression de soi est à la fois un besoin viscéral, un acte politique et une quête de représentation. Et les sites d’archives de fanfictions sont peut-être les seuls endroits où sa voix trouve écho.

C’est par nécessité et non par hasard que les fans de Star Trek ont inventé des histoires d’amour entre les protgonistes masculins Kirk et Spock. Nichelle Nichols méritait des scènes torrides à la hauteur du sex-symbol qu’elle était.

Peut-être que Sue veut coucher sur papier ses propres fantasmes, les offrir en contrepartie de ceux imaginés par l’auteur masculin qui scénarise sa série préférée.

Comme beaucoup de fangirls avant moi, je me réveille la nuit pour penser à Barney et Robin qui ne finissent pas ensemble, à la mort prématurée de Marissa Cooper sur la chanson Hallelujah (la version d’Imogen Heap, évidemment), à la relation platonique de Tessa Virtue et Scott Moir, à la sexualité invisible et toujours hétéro des étudiant·es de Poudlard, à JT de Degrassi, mort sans savoir que Liberty l’aimait encore, à Ovila exilé en forêt, à la sixième saison de Rumeurs, à la fin en queue de poisson de La clique de Brighton, à la tension sexuelle entre Louis et Harry de One Direction, à l’appel téléphonique dévastateur de Call Me by Your Name.

Ma plus récente insomnie est advenue après l’accident de moto catastrophique et inattendu qui a mis fin à un couple chouchou de la télévision québécoise.

Comme beaucoup de fangirls avant moi, comme Sue, j’ai eu l’envie irrépressible d’écrire. De donner vie à ce que la caméra ne nous montrera jamais.

J’AURAI CENT ANS

TAGS: Smut/Original Child Character/Fix-it Fic/Happy Ending/Friends to Lovers to Enemies to Lovers/Post-Canon/Alternate Universe/Patrick/Nadine/District 31

Une moto file sur une route de campagne. On reconnaît les yeux de Nadine sous la visière de son casque. Au moment où elle traverse l’intersection, une voiture noire la percute. La moto glisse sur le côté, fracassée. Aucune image du corps. La voiture poursuit son chemin à pleine vitesse. De la fumée plane dans l’air. Pas de doute, elle est morte.

«Je sais pus quoi faire, je sais pus quoi dire…»

Elle l’embrasse sans le laisser finir sa phrase. Il l’arrête en posant une main sur son cou, leurs fronts collés, leurs respirations saccadées, leurs souffles entremêlés.

«Fais-moi pas ça.»

Elle comprend ce que ses mots impliquent. Il a peur d’être blessé, encore, mais elle ne peut plus s’en empêcher. Elle y pense depuis un long moment, même si leur relation est compliquée, surtout ces temps-ci. Il en meurt d’envie lui aussi, c’est évident, mais il se protège, fait semblant d’être uniquement son ami, sans arrière-pensée. Elle l’embrasse et elle n’en a plus aucune, de pensée. Son cerveau fait le vide, de son ex, de son appréhension. Ses nombreuses barrières tombent. Elle l’embrasse et tout ce qu’elle veut c’est l’embrasser encore, plus fort, plus proche, plus longtemps. Répondant à ses instincts les plus primaires, elle se lève et s’assoit à califourchon sur lui. Leur baiser devient plus fébrile, il la serre. Ses mains dans son dos, sur sa nuque, partout à la fois. Ils restent ainsi un bon moment, frenchent à bouche que veux-tu sur la chaise de la cuisine. La tension est de plus en plus palpable.

Elle sent son érection qui appuie délicieusement sur l’intérieur de sa cuisse et fait circuler en elle une chaleur irrésistible. Il se lève en la gardant bien pressée contre lui, monte les escaliers et la dépose sur le lit, dans la chambre à coucher où ils ont souvent dormi ces dernières semaines, dans les bras l’un de l’autre, résistant de toutes leurs forces à leur attirance. Il recule pour l’observer et elle en profite pour faire de même. Il a un regard perçant, presque accusateur. Il la met au défi de ne pas se sauver, cette fois. Elle est mise à nu avant même d’avoir enlevé un seul vêtement. Elle l’aime comme son meilleur ami, mais elle le désire d’une façon presque indécente. Il recommence à l’embrasser, touche ses seins, trace un chemin brûlant entre son cou et le bas de son ventre. Il commence à descendre son legging noir et elle agrippe ses cheveux un peu brusquement, percevant la promesse de ce qui est à venir.

Au moment où Patrick s’arrête pour être sûr qu’il a la permission d’aller plus loin, à l’instant précis où il lui sourit comme pour confirmer qu’ils vont franchir une frontière qu’ils s’efforcent de maintenir étanche depuis des années, alors qu’il s’apprête à l’entraîner avec lui de l’autre côté, Nadine se réveille.

Elle est dans son lit à des centaines de kilomètres de Montréal, au fond d’un village qu’elle ne pourrait pas placer sur une carte, toujours prisonnière de la cachette qui lui a sauvé la vie il y a quatre ans déjà. Elle garde les yeux fermés pour profiter encore un peu du souvenir recréé par son subconscient traître. Elle le ressent encore dans son corps, comme si elle s’apprêtait réellement à recevoir un cunnilingus. Ce serait peut-être le cas si on ne l’avait pas privée de sa propre vie, si elle n’avait pas été forcée de fuir, de s’isoler, de renoncer à son travail et à ceux qu’elle aime. Pour une femme d’action comme elle, c’est une torture pure et douce, une cage dorée d’où elle a envisagé de s’échapper à plusieurs reprises. Elle rêve d’aller elle-même résoudre l’enquête entourant sa propre mort – dossier interminable duquel personne ne semble pressé de la tenir au courant.

L’autre supplice, pire encore que l’ennui, c’est Lui. Celui qu’elle a laissé derrière sans se retourner, celui à qui elle souhaite d’avoir refait sa vie, même si son psy avancerait que son rêve crie le contraire. Elle serre les cuisses sous ses draps, tentant d’apaiser la pulsion toujours vive entre ses jambes. De sa vie à lui non plus, personne ne l’informe. Il est peut-être marié. L’idée lui donne le tournis. Elle pense à sa voix, elle essaie de se souvenir des mots précis échangés cette nuit-là. Elle fait glisser sa main sous l’élastique de sa culotte.

Une fois, elle l’a appelé d’une cabine téléphonique, juste pour l’entendre. C’était stupide, et elle est trop expérimentée pour céder à un caprice aussi dangereux, mais elle l’a fait quand même. Il a répondu, a répété «Allô?» et elle a raccroché. Elle s’est raconté pendant des semaines qu’il avait peut-être pu sentir que c’était elle, qu’il s’était langui de son retour aussi ardemment qu’elle imaginait le scénario de leurs retrouvailles. Elle roule deux de ses doigts sur son clitoris, juste un peu à droite, un peu décalé, comme elle aime. Pense-t-il à elle aussi souvent qu’elle pense à lui? Est-ce aussi douloureux pour lui que pour elle? Le manque lui fait-il mal, tellement mal qu’il s’en sert pour se faire du bien?

Elle ne lui souhaite pas de souffrir de l’attente, elle veut qu’il ait fait son deuil. De toute façon, elle se convainc qu’elle est ailleurs, elle aussi. Ça fait quatre ans. Le connaissant, il est probablement en couple. La jalousie donne une intention nouvelle à ses efforts pour atteindre l’orgasme. Elle agrippe son sein gauche avec une force qu’elle souhaite similaire à celle qu’il aurait, Lui.

Elle aussi, elle a daté. Il y a eu Catherine, la jeune sergente affectée à sa surveillance la première année, puis le propriétaire de l’épicerie du coin avec qui elle a entretenu une liaison secrète pendant quelques mois. Elle est ailleurs, mais si elle choisit d’être honnête, rien n’est comparable. Il est irremplaçable. Ses doigts ne lui suffisent plus, elle étire le bras vers sa commode et sort un petit vibrateur rose.

Au premier contact, elle sent déjà qu’elle est près de l’orgasme. Elle pense à la tête de Patrick entre ses jambes, elle pense à sa bouche sur son sein, elle pense à sa personne en entier, son sourire, leur complicité, elle jouit en pensant à leur premier «Ostie que j’t’aime». Elle le veut, peu importe le temps qui passe. Elle a beau se répéter comme un mantra qu’elle est remise de lui, elle sait qu’elle aura cent ans et qu’elle l’attendra encore.

Nadine entend du mouvement dans l’autre chambre. Elle se rend rapidement à la salle de bain, se lave le visage, enfile son bas de pyjama et va à la rencontre de l’autre amour de sa vie. Elle passe l’intersection entre le corridor et le salon et est percutée par une petite fille aux cheveux bruns qui fonce vers elle. Comme tous les matins depuis trois ans, le pincement familier la prend au cœur: plus le temps passe, plus la date de son retour reste incertaine, plus elle sait que d’avoir caché leur fille, sans lui avoir laissé aucun indice de son existence, lui paraîtra impardonnable.

Chapitre 1 de 10.

 


Frédérique Côté est née en 1993 et vit à Montréal. Elle a obtenu une maîtrise en création littéraire de l’Université McGill. En 2021, elle signe son premier roman, Filibuste, paru au Cheval d’août. Elle travaille dans le domaine de la télévision, où elle nourrit sa passion pour la culture pop.

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