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Signal d'alarme

La première œuvre théâtrale de Carolanne Foucher aborde la notion de consentement avec autant de dérision que de justesse.

Théâtre

La première œuvre théâtrale de Carolanne Foucher aborde la notion de consentement avec autant de dérision que de justesse.

Née en 1993, diplômee du Conservatoire d’art dramatique de Quebec en 2018, autrice de deux recueils de poèmes, Carolanne Foucher publie, toujours aux éditions de Ta Mère, un premier texte de théâtre: Manipuler avec soin, une pièce à trois personnages créée en 2021 par le Théâtre Bistouri. Mis en scène par Pascale Renaud-Hébert, le spectacle de soixante minutes a été présenté en formule 5 à 7 à La Petite Licorne, puis à La Bordée en août 2022.

Drôles de retrouvailles

Après être tombée par hasard, dans un bar, sur David, son ex-conjoint, Josianne le ramène à la maison. Il y a plus ou moins un an qu’il et elle ne se sont pas vu·es. David semble subjugué par la transformation qui s’est opérée chez la protagoniste: «T’as l’air bien. T’as l’air de faire des meilleurs choix de vie.» Rapidement, la conversation bifurque vers le sexe. Quand Josianne propose un verre à son ancien amoureux, ce dernier répond d’une manière présomptueuse, pour ne pas dire déconcertante: «T’es fine, mais non. J’aimerais ça m’assurer d’un certain… standard de qualité, rendu tantôt.» 

Un peu plus tard, lorsque David s’approche de son ex pour l’embrasser, une alarme retentit. C’est que Josianne s’est fait implanter un CareTaker. «C’était impulsif, explique-t-elle.

Comme se faire faire un tatou, ou une coupe de cheveux après une rupture. Moi j’me suis fait poser une alarme.» Le dispositif a été programmé pour sonner quand «ça va trop vite». «Éviter de vivre des moments fâcheux où l’utilisateur se soumet à un contact dont il n’a pas réellement envie», précise le livret d’instructions. Après quelques essais, qui déclenchent invariablement l’alarme, Josianne, pour le moins perplexe, affirme: «C’est censé se replacer tout seul sans qu’on ait besoin de rien faire. Elle va s’en rendre compte, là, que ça me tente. C’est un bogue.»

Faire pleurer un cœur

Comme si de rien n’était, et à travers des dialogues hilarants, portés par un rythme soutenu, la pièce explore des enjeux cruciaux: rapports de domination, culture du viol, mouvement #MeToo et, plus encore, la notion de consentement. Est-ce qu’on peut consentir sans vraiment le faire? Existerait-il deux types de consentement: celui du cœur et celui du corps? Josianne explique que la sonnerie retentit lorsqu’une situation fait «pleurer [s]on cœur»: «t’sais quand tu fais de quoi un peu par automatisme, ou genre parce que c’est le fun là, mais tu sais que ça va te faire de la peine tantôt…»

Dans l’espoir de berner le CareTaker, Josianne demande à David de lui dire des mots d’amour: «Pas… pas "je t’aime". C’est sûr que c’est ajusté plus soft que ça. Mais t’sais, des trucs pour me faire sentir bien… "t’es belle" "j’avais hâte de faire ça avec toi" "j’attends ce moment-là depuis longtemps" des affaires de même.» Probablement parce que David manque cruellement de conviction, l’opération se solde par un échec. L’autre question de société que le texte présente habilement, sans verser dans l’essai ni dans le plaidoyer, est celle du transhumanisme. Le dispositif que porte Josianne est absurdement limité et ne tient pas compte de la complexité des sentiments humains. Voilà un aspect que la pièce met en relief, tout comme les enjeux éthiques que pose le recours à un tel dispositif. À l’instar de Jean-Philippe Baril Guérard et de Dominique Leclerc, Foucher ose explorer, dans un astucieux mélange de drôleries et de sérieux, les rapports aussi délicats que fertiles entre l’humain et la technologie.

Service à la clientèle

Lorsque Josianne se décide à téléphoner au service à la clientèle de CarePeople Tech pour faire désactiver son CareTaker, la pièce prend une tournure absolument désopilante. Au moment où Charles, à la fois l’inventeur de cette technologie, le fondateur de l’entreprise ainsi que le responsable et le superviseur (!) du soutien technique, débarque afin de retirer la puce fichée dans le cou de sa cliente, les masques tombent, les couteaux volent bas, et les vérités fusent de toutes parts… pour notre plus grand plaisir.

Je me disais «j’vaux pas plus que ce qui m’était offert», confesse Charles à propos de son ancienne relation. Mais c’est juste de la peur… la peur de finir tout seul, de pu jamais rien partager avec personne. C’est à ça que ça sert le CareTaker. Ça sert à dire «fais pas ça, y’a mieux, pis ton cœur le sait».

Impossible à ce moment-là de ne pas interroger nos propres comportements amoureux, nos véritables aspirations; impossible, en somme, de ne pas nous montrer plus attentif·ves aux signaux que nous lançons et à ceux que nous recevons.

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Carolanne Foucher
Montréal, Ta Mère
2022, 128 p., 20.00 $