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Sexe, drogue et techno

Dans un parler franc qui évite la gratuité, le narrateur des Carnets de l’underground expose ses frasques et témoigne de façon personnelle de sa recherche d’identité à travers les excès.

Récit

Dans un parler franc qui évite la gratuité, le narrateur des Carnets de l’underground expose ses frasques et témoigne de façon personnelle de sa recherche d’identité à travers les excès.

De Berlin à Montréal, en passant par Paris, Miami et Sainte-Adèle, le protagoniste trimballe sa jeunesse aux confins des atmosphères hallucinées des boîtes de nuit et des afters, où la musique techno et la drogue instaurent un monde déréalisé. Au diapason de l’agitation frénétique perceptible dans les pages de ces carnets, la structure de l’ouvrage ne suit aucune chronologie et paraît calquée sur le désordre des souvenirs qui enflamment l’esprit du narrateur. Quelques endroits tiennent tout de même lieu de repères, à commencer par les toilettes, où l’on se retrouve pour consommer kétamine, cocaïne, MDMA, poppers, GHB, speed. À cause des substances absorbées, la chair est d’autant plus poreuse, sensitive, et elle décode intuitivement les appétits. Les dark rooms sont aussi des espaces récurrents qui libèrent les corps et s’amalgament aux instincts. Ils rappellent que nous sommes vrai·es et vivant·es.

Petit manuel pour non-initié·es

Composé en fragments, ce livre d’apprentissage, à une ère où l’image corrobore l’existence, s’apparente à un journal qui exhume les morceaux d’une sorte de rite de passage:

Comme pour la majorité des soirées que j’ai passées à Berlin, j’ai peu de souvenirs de celle-ci, sauf que je sais que c’était trash. Heureusement il me reste les photos.

L’image est l’expérience vécue par procuration. C’est pourquoi il faut la soigner et avoir du style pour faire partie de la fête – d’où l’importance du code vestimentaire quand on entre dans les bars. Une fois à l’intérieur, les groupes se rassemblent par «catégories»: les masc for masc, les fashion, les cool kids, les dudes random, les twinks, les daddies. Il s’agit d’une microsociété où chacun évolue dans le but d’avoir un regard tourné vers soi. À l’intérieur de cet univers où tout est crypté, le néophyte apprend vite les usages. Les liens, à la fois subtils et frontaux, se nouent et se dénouent sur la base de la convoitise et de l’acceptation. Dans ce jeu d’apparences, les dés sont pipés par la musique forte survoltant les esprits, les éclairages psychédéliques déformant le décor et les drogues,
qui intensifient les perceptions.

On pulse au rythme de l’explosion afin d’aller jusqu’aux limites et d’espérer les traverser, voire les transcender; afin qu’il n’y ait plus de périphérie pour se contenir; afin de devenir aérien·nes, sans conscience ni apesanteur. En ce sens, cette quête rejoint celle de l’écrivain français Mathieu Riboulet: «[I]l n’y a plus que la valeur des peaux, je veux bien que le monde entre, m’ouvre, me grandisse, s’il doit me dévaster il me dévastera; nous avons touché là de bien grandes merveilles1.» Prisonniers du vertige de la corporalité, les corps se jaugent et s’unissent pour mieux s’annihiler et atteindre une sorte d’état extatique où l’on aura, encore une fois, repoussé la mort.

Beauté intérieure

L’ossature du livre est constituée d’une suite de ces nombreuses heures décadentes passées dans les arènes de la concupiscence et des beats tribaux. Il s’y glisse parfois des allusions plus sentimentales, l’instant d’un arrêt sur image. Le narrateur exprime une solitude qui lui pèse, le souhait d’une relation à autrui plus amène et moins orientée vers une incessante quête éperdue: «Partout où je vais, j’ai l’impression de courir après les autres, de courir après moi-même.» C’est dans ces phrases, dans lesquelles le personnage s’arrête et prend du recul, que le reste acquiert tout son sens. Il y en a trop peu, en revanche, et l’on est aussitôt renvoyé·es à l’étourdissement de l’oubli. S’il avait davantage investi un territoire introspectif, Cholette aurait renforcé la portée intimiste de son écriture et évité ce qui ressemble souvent à une suite d’anecdotes déliquescentes.

Par contre, la transparence avec laquelle il évoque et assume ses désirs est en soi une entreprise audacieuse qui correspond à l’univers des médias sociaux, dont il se revendique. Quelques-uns des textes ont d’abord été publiés sur Instagram, avant d’être joints à d’autres extraits et édités. Ce processus éditorial concorde avec la nature même du projet, qui consiste à faire voir ce qui a été vécu, éprouvé. Les illustrations explicites de Jacob Pyne, qui ornent chaque histoire, sont cohérentes avec le pacte de vérité inhérent à l’ouvrage. Elles dévoilent tout et ajoutent une dimension fantasmatique.

En constante représentation, le narrateur va au bout de sa prémisse et laisse les lecteur·rices être voyeur·ses. Elles et ils n’ont donc pas à s’immerger dans l’interprétation.

  • 1. Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien, Paris, Verdier, 2015.
Auteur·e·s
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Article au format PDF
Gabriel Cholette, Jacob Plyne
Montréal, Triptyque
coll. « Queer »
2021, 168 p., 28.95 $