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Seul lieu de la résilience

Seul lieu de la résilience

Après Béante et Frayer, la poète innue Marie-Andrée Gill propose avec son troisième recueil de poésie une enquête sur le désespoir amoureux et, étonnamment, ça réchauffe l’intérieur.

Poésie

Après Béante et Frayer, la poète innue Marie-Andrée Gill propose avec son troisième recueil de poésie une enquête sur le désespoir amoureux et, étonnamment, ça réchauffe l’intérieur.

Chaque peine d’amour arrive avec son lot de fins du monde et de recommencements. Combien de fois une rupture a-t-elle été source créatrice ? Sujet vieux comme le monde à une époque où certains s’engaillardissent en clamant que tout a été écrit, les fissures de l’intime demeurent rassembleuses, de par leur universalité. Chauffer le dehors, c’est une bataille incessante entre l’avant et le maintenant, entre le désir de se vautrer dans un passé tout aussi confortable qu’irréel, et la volonté de se ressaisir par un appel au territoire. « L’amour c’est une forêt vierge/pis une coupe à blanc/dans la même phrase ». Gill erre entre ce vide et ce plein d’un poème à l’autre, comme si pour s’en extraire complètement, elle se devait de revisiter le bonheur passé dans son entièreté, cause inexorable des souffrances présentes.

J’irai où tu iras

Grâce à différentes ruptures de ton et de langage, Gill crée ses images, cherchant la poésie en toute chose, déconstruisant le quotidien pour y trouver les échos de son mal-être. Que ce soit lorsqu’elle « lâche son call » en chantant « y as-tu d’la bière icitte » ou lorsqu’elle commence son poème en citant Céline Dion, l’écrivaine préfère la tragicomédie au drame. « Tous les paysages te ressemblent quand tu les éclaires : / le bois sale, les ruisseaux, l’apparition des uishkatshan [geai gris] et des buses quand on en a besoin ». Alternant prose et vers, le recueil, divisé en quatre parties, contient cinq longs poèmes en italique, forçant ainsi la pause alors que le texte court parfois sur deux pages, venant cadencer le livre avec de réelles incursions dans l’intime, comme si le temps s’arrêtait :

Je me demande où habiter, à quelle place poser ma tendresse à broil sinon dans la procuration que permet l’écriture, en recréant l’expérience, en la fleurissant comme on organise sa mémoire pour la faire taire et vibrer en même temps. Où habiter sinon dans le rappel de moments fous et la possibilité qu’ils se reproduisent ?

Le désespoir se retrouve dans le banal du cours des jours, comment continuer quand tout nous ramène à l’autre. « La peur, c’est te croiser au dépanneur et qu’on ne sache pas quoi faire de nos corps », parce que « [c]riss que ça gosse d’avoir été heureux de même. » Certaines comparaisons sont par contre moins fortes, les brisures étant plus équivoques : « C’est juste impossible que tu viennes plus/t’abreuver à mon esprit ancestral/de crème soda. » Ou encore : « Mais là j’avoue/j’aimerais troquer mon cœur/pour la simplicité d’un bon bol/de macaroni aux saucisses. » Bien qu’elles ne sabotent pas le recueil, un élagage ou un resserrement de ces tournures aurait pu faire grand bien à l’ensemble.

Jouer dehors

La réussite du livre de Marie-Andrée Gill réside dans l’opposition entre le dedans et le dehors, le territoire se déplie comme unique lieu possible de la résilience, de la renaissance, car « le dehors est la seule réponse que j’ai trouvée au dedans ». Tôt dans le recueil la poète « cherche dans le bois/et les chiennes de vivre/les remèdes aux morsures de ta douceur ». C’est lorsqu’elle se laisse « tentée sur le bord du fleuve, à quelque part de secret » qu’elle se retrouve, souveraine :

Je me touche, je lis, un écureuil essaie de me grimper dessus — je suis une princesse de Disney en tabarnak. Je marche dans la forêt dense, je m’égratigne partout et j’aime ça. Vraiment, j’aime que mon corps se magane par le hors-piste, qu’il ait des traces comme des signes de fierté et d’autonomie, de force et d’endurance. Dans ces moments-là, je suis toute là, pas tuable — pas grand-chose et totale à la fois.

Il y a une force tangible qui émane de la dernière partie du recueil, une sorte de salut pour celle qui « laisse le territoire [l]’éparpiller comme les oiseaux migrateurs ne savent pas se perdre ». C’est dans ces poèmes que le livre puise toute sa pertinence, la poésie paraît alors essentielle dans ce cheminement, comme seule réelle occasion de nommer le vide, de le retourner dans tous les sens pour lui faire prendre toutes les formes d’un deuil amoureux, qui se doit d’être disséqué avant d’être oublié. « Ce qui nous force à exister dans les noyades,/c’est que la clarté nous prend dans ses couvertes », dit la poète. Cette clarté est aussi, voire surtout, celle de l’écriture qui permet l’appel d’air nécessaire pour demeurer à la surface et laisser « […] le temps/accorder sa guitare/comme du monde ». ♦

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Marie-Andrée Gill
Saguenay, La Peuplade
2019, 104 p., 19.95 $