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Série B

Le criminel Richard Blass est un personnage plus grand que nature, et sa vie semble tirée d’un roman. Malheureusement, Blass. Le chat sur un toit brûlant n’est pas à la hauteur de son antihéros.

Bande dessinée

Le criminel Richard Blass est un personnage plus grand que nature, et sa vie semble tirée d’un roman. Malheureusement, Blass. Le chat sur un toit brûlant n’est pas à la hauteur de son antihéros.

Le cinéaste Robert Morin a marqué les esprits de tous·tes celles et ceux qui ont vu le film Requiem pour un beau sans-cœur (1992), librement inspiré de la vie de Richard Blass. Ce dernier, rappelons-le, a fait la manchette à la fin des années 1960 à la suite de nombreux vols de banque. Il s’est aussi évadé trois fois de prison et a été soupçonné de vingt et un meurtres. Dans Blass, l’artiste Jocelyn Bonnier et le scénariste Michel Viau racontent les six dernières années de l’existence mouvementée du hors-la-loi. Viau est davantage connu pour ses études sur le neuvième art, parmi lesquelles BDQ. Répertoire des publications de bandes dessinées au Québec, des origines à nos jours (Les 400 coups, 2000). Toutefois, le scénario qu’il propose ne convainc pas, et les dessins de Bonnier n’aident en rien à sa compréhension.

Sans âme

D’entrée de jeu, la préface de Claude Poirier annonce le pire. Dans ce texte bâclé (si l’on se fie au nombre d’erreurs de syntaxe dans le premier paragraphe), le reporter judiciaire explique en détail sa relation avec Blass. Les évènements les plus importants racontés par le détective se retrouvent dans l’album. On se demande donc à quoi servent ces pages liminaires.

Dès les premières planches, nous sommes en plein cœur d’un vol de banque commis par Blass et l’un de ses acolytes, Ti-Cul Allard. L’avocat du brigand, Frank Shoofey, réussit cette fois à lui faire éviter la prison. Dans la voiture qui les ramène à Montréal, l’homme de loi conseille à son client de se méfier: les membres de la mafia italienne estiment que Blass et sa bande ne respectent pas leur territoire. S’ensuivent des règlements de comptes entre les deux clans, des poursuites et des tentatives de meurtre. Chaque fois, le «héros» de l’album s’en sort, ce qui lui vaut le surnom «Le Chat». Les scènes d’action abondent dans l’œuvre; pourtant, les lecteur·rices risquent de se lasser vite de cette succession d’évènements vertigineux certes, mais anecdotiques. On a la désagréable impression de regarder un banal documentaire télévisé. L’un des plus grands problèmes de l’ouvrage, c’est que les auteurs n’ont pas réussi à insuffler une certaine humanité à leur personnage principal. Ainsi, vers la fin de l’album, Blass est enfermé au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul dans une minuscule cellule, isolé de tous·tes, pendant deux mois. On nous fait comprendre et ressentir la rage qui monte en lui de façon tellement peu subtile que cela en devient agaçant.

En revanche, le découpage des planches est dynamique. Bonnier s’inspire des comics américains de superhéros. La grosseur et la forme des cases varient. Certaines se superposent même dans des séquences d’action. Le dessinateur a porté une grande attention à la reconstitution des décors, des vêtements et des coiffures. Cependant, le trait manque de finesse. De case en case, la physionomie des protagonistes se transforme, et les proportions de leurs visages changent selon le point de vue. Il m’est arrivé à quelques occasions de les confondre!

Scénario faible

La première question qui surgit quand on lit l’album est la suivante: «Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire?» Elle n’est pas dénuée d’intérêt; cela dit, Viau semble lui-même avoir de la difficulté à cerner son sujet. Est-ce que le fait qu’un Canadien français ait tenu tête à la mafia italienne le transforme en un nouveau Maurice Richard se battant contre les vilains anglophones? En réalité, les auteurs auraient dû mieux définir la psychologie de leur protagoniste et mettre l’accent sur son narcissisme. Plusieurs bandes dessinées ont déjà présenté les vies de bandits ou de tueurs en série, dont Mon ami Dahmer (Çà et là, 2013), qui porte sur l’amitié entre l’artiste Derf Backderf et le meurtrier Jeffrey Dahmer.

Un autre problème du scénario de Viau réside dans les différents niveaux de langage. Par exemple, Blass jure en québécois, utilise des mots empruntés à l’anglais et lance des phrases comme: «On nous traite de façon barbare et lorsqu’on se rebiffe, eh bien, on nous qualifie de dangereux! C’est une injustice.» Ces écarts sont trop nombreux pour qu’on adhère totalement à la vraisemblance des personnages.

Je termine cette critique en citant un personnage de l’album, plus précisément un enquêteur, qui s’exclame, tandis qu’éclate la guerre entre le clan de Richard Blass et la mafia: «Ça va mal finir tout ça.»

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Michel Viau, Jocelyn Bonnier
Montréal, Glénat Québec
2020, 144 p., 26.95 $