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Rendez-vous au Balfour

Hommage

Je me souviens très bien de ma première rencontre avec les frères Hébert. C’était en 1991. Je leur avais envoyé par la poste un récit que je venais d’achever et j’étais parti m’oxygéner sur les plages de la Nouvelle-Angleterre. Un récit plutôt court, dans lequel j’avais joué mon va-tout et n’avais reculé devant aucun imparfait du subjonctif. À mon retour, j’avais un message de François Hébert sur mon répondeur. Il souhaitait me rencontrer et publier mon récit.

Je me suis rendu à Montréal, dans l’édifice Balfour du boulevard Saint-Laurent, où se trouvait alors le bureau des Herbes rouges. C’était un local assez petit, au bout d’un corridor le long duquel s’alignaient des portes placardées de logos. Je suis resté un instant sur le seuil. Marcel était devant la fenêtre, François près de la porte. Je me suis demandé si c’était pour prendre la fuite une fois que les livres qui s’entassaient entre eux auraient envahi tout l’espace. Il y avait sur les murs, en file et à la même hauteur, des reproductions des couvertures des nouveautés. La mienne s’y ajouterait, comme la énième station d’un étrange chemin de croix. Je me suis rappelé, en riant sous cape, que la toute dernière figurait la mise au tombeau.

Puis, j’ai franchi des nuages de fumée, les frères Hébert étant d’avides fumeurs, et je les ai écoutés. L’un m’a parlé de la fausse simplicité de mon récit, l’autre me demandait si j’avais songé à la couverture. C’était la première fois qu’on me traitait en écrivain. Je n’avais pas encore réalisé tout à fait qu’on allait me publier. J’étais entouré en ce temps-là de personnes qui rêvaient d’écrire. Des camarades de la Faculté des lettres, d’autres qui m’entretenaient inlassablement du roman «en cours» qui ne paraissait jamais. Je ne serais pas de ceux-là. Grâce en soit rendue à Dominique Robert qui, rencontrée par hasard au Salon du livre de Montréal, m’avait suggéré de soumettre un manuscrit, si j’en avais un, aux Herbes rouges. Ça m’a semblé aller de soi, et je ne l’ai envoyé nulle part ailleurs.

J’ai signé le contrat d’édition par un après-midi d’automne à travers des volutes de fumée et je me suis retrouvé sur le trottoir du boulevard Saint-Laurent avec la certitude que je finirais moi aussi scotché à un mur, à l’étage de l’édifice que je venais de quitter. Depuis, ce bureau du Balfour n’existe plus, mais Les Herbes rouges continuent d’avoir pignon sur rue dans le paysage littéraire actuel et d’être ma seule et unique maison d’édition. J’y ai publié onze autres livres en vingt-huit ans. À chaque nouvelle publication, de la révision à la production, de l’illustration à la quatrième de couverture, au fil de longues conversations téléphoniques avec François, où nous oublions parfois le détail à régler, pour y revenir trois heures plus tard, j’ai autant l’impression de contribuer à promouvoir une certaine idée de la littérature que d’ajouter un titre au catalogue des Herbes rouges.u Alain Bernard Marchand est né à Shawinigan, a grandi sur les rives du lac Huron et vit à Ottawa. Il a publié aux Herbes rouges récits, romans, essais, nouvelles et poésie. ♦

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