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Regarder passer la comète

Les éditions Alto font généralement preuve de flair lorsqu’il s’agit de dénicher des textes étonnants de la littérature canadienne. Nul besoin de s’étendre ici en circonlocutions policées, Le saint patron des merveilles n’en fait pas partie.

Traduction

Les éditions Alto font généralement preuve de flair lorsqu’il s’agit de dénicher des textes étonnants de la littérature canadienne. Nul besoin de s’étendre ici en circonlocutions policées, Le saint patron des merveilles n’en fait pas partie.

Difficile de s’expliquer ce qui a pu séduire tant le propos est banal et la manière fabriquée. Car coup de foudre éditorial il devait forcément y avoir pour décider d’aller tirer des boules à mites ce lauréat 2007 du prix Trillium (récompense littéraire ontarienne par excellence, remportée entre autres par les célébrés Margaret Atwood et Michael Ondaatje). Admettons (arbitrairement, bien sûr) que le sujet soit la seule chose qui compte. On peut ainsi mieux comprendre l’intérêt des éditions Alto, adeptes de fantasmagories, pour cette histoire abracadabrante. L’ennui, c’est que les tours annoncés en grande pompe s’avèrent finalement comparables à ceux d’un illusionniste qui, à force d’extirper de son chapeau élimé de pauvres lapins rachitiques, use notre capacité d’émerveillement.

Dans le grand chaudron de l’Italie des XVIIe et XVIIIe siècles, faites mijoter à feu doux deux histoires d’amour, ajoutez deux ecclésiastiques au bord de la défroque, un boisseau de bons sentiments et touillez avec un peu de commedia dell’arte. Réservez et resservez à volonté sur quatre cents pages. Il se peut que vos invités s’en trouvent quelque peu gavés, utilisez alors le trou normand de la structure ingénieuse (treize chapitres et huit actes) inspirée de la suite de Fibonacci. Si la visite des comètes en parages terriens passe généralement pour avoir la capacité de modifier la trajectoire capricieuse des destins crédules, il va sans dire que notre planète-lecteur ne trouvera pas en ces pages le moindre incitatif à l’ébauche d’une révolution, quelle que soit la durée de son orbite. Car il ne suffit pas, pour rendre une existence prégnante, d’observer une boule de feu zébrer le ciel comme le font les personnages de cette histoire. Le prêtre-alchimiste Cambiati et son assistant Omero peuvent bien échanger toutes les banalités qu’ils veulent du haut d’une tour de Crémone, s’ingénier à comprendre comment cela les lie à un futur où certains voudraient faire du premier un saint, ni leurs élucubrations ni leur jugement posthume n’apporteront de sens satisfaisant à ces intrigues mal ficelées.

Artifices

L’idée de mettre en scène la fonction peu connue d’avocat du diable est certes ingénieuse de la part de l’auteur. Occupant cette position illustre au sein de l’Église, Michele Archenti est donc chargé de déterminer si la vie de Cambiati est digne de béatification. Pour ce faire, il devra rencontrer ceux qui l’ont connu, les interroger longuement en recoupant leurs témoignages, assemblant ainsi une manière de casse-tête spirituel. Mais en analysant d’aussi près une vie, en s’immergeant dans ses ambiguïtés, c’est Archenti qui dévoile les siennes, se révélant à lui-même. Le potentiel romanesque d’une telle enquête est immense. Intrigues politiques au sein de la cité papale, règlements de comptes des proches sur la tombe du défunt et secrets exhumés font généralement d’assez bons matériaux pour ce type de roman. À condition bien sûr de savoir les agencer, de les rendre crédibles et vivants.

Or à la lecture du roman de Frutkin, on ne peut s’empêcher de penser au travail que remet le bon élève persévérant. Le pauvre a fait ses recherches religieusement, a trimé dur et a sûrement froissé bien des feuilles. Tout devrait fonctionner, mais la seule impression indélébile que son labeur laisse est celle de son insupportable artificialité. Cette entrée du journal de Monsignor Archenti, avocat du diable, exprime à merveille la surenchère à laquelle est soumis le lecteur, croulant sous des mystères qui peinent à s’incarner:

Le sentiment de vivre dans un rêve commence à me gagner. Cette surenchère de miracles et d’histoires abracadabrantes m’étourdit. Fabrizio aurait été aperçu en train de parler à un cygne au bord du Pô, et la bête paraissait l’écouter, inclinant la tête d’un côté, puis de l’autre. La plus célèbre commère de Crémone serait devenue muette pour un jour après avoir prié Cambiati. En revenant de chercher du bois dans les Dolomites, un luthier et ses assistants qui avaient croisé une bande de brigands auraient été sauvés en étant transformés en cerfs. L’endroit est si rempli de miracles qu’il semble sur le point d’éclater.

L’accumulation du merveilleux sature des pages déjà couvertes de dialogues souvent peu utiles à l’essor narratif. Le plus ennuyeux dans tout ça, c’est que Mark Frutkin n’est pas en début de carrière, il ne peut donc plaider le délit de débutant. Avec huit romans et quatre recueils de poésie à son actif, on serait en droit de s’attendre à quelque chose de plus solide. On se trouve par ailleurs à des lieux de la force d’évocation poétique d’une Dominique Fortier (Au péril de la mer), par exemple, ou de l’ambition narrative d’une Eleanor Catton (Les luminaires), pour ne comparer ce livre qu’à des voisins récents et plus heureux du catalogue Alto. Impossible d’autre part d’en vouloir à la talentueuse traductrice Catherine Leroux qui doit composer avec une matière première manquant de finesse. Sans être complètement mauvais, Le saint patron des merveilles n’est malheureusement rien d’autre qu’un passe-temps un peu ennuyeux. ♦

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Mark Frutkin
Traduit de l'anglais (Canada) par Catherine Leroux
Québec, Alto
2017, 400 p., 29.95 $