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Qui embrasse beaucoup étreint plus que correctement

Qui embrasse beaucoup étreint plus que correctement

L’auteur de Ghetto X est maintenant l’un de ceux dont on peut dire que son dernier livre «n’est pas son meilleur», même si on y a passé ce qu’on appelle «des moments de qualité».

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L’auteur de Ghetto X est maintenant l’un de ceux dont on peut dire que son dernier livre «n’est pas son meilleur», même si on y a passé ce qu’on appelle «des moments de qualité».

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Depuis le début de la décennie 2010, Martin Michaud est passé de recrue de l’année à auteur incontournable de polars. Ses romans mettant en vedette l’enquêteur Victor Lessard ont même servi de source à une série télévisée du même nom. Ghetto X, la dernière aventure de son héros, nous prouve que Michaud n’est pas homme à s’asseoir sur ses lauriers: plus ambitieux que les premiers opus de la série, le roman explore plusieurs thématiques actuelles — terrorisme, piratage informatique, protection des sources journalistiques — tout en approfondissant la vie et le caractère de son protagoniste. En cela, l’auteur québécois se situe à l’opposé d’un Michael Connelly, à qui il est parfois comparé, un romancier édifiant une œuvre d’un œil quelque peu distrait ces dernières années.

Pas de retraite pour l’inspecteur

Après une enquête difficile, Victor Lessard a démissionné du SPVM à la fin de Violence à l’origine (Goélette, 2014). Mais comme la littérature nous l’a montré de nombreuses fois, un bon policier ne peut pas se soustraire à l’action très longtemps. Pour Lessard, cette action viendra assez vite: elle sera même double. D’un côté, son amie et collègue de longue date, Jacinthe Taillon, a sollicité son aide dans une curieuse affaire où des tueurs professionnels seraient impliqués; de l’autre, Victor apprend des faits très surprenants sur son défunt père, qui a assassiné le reste de la famille quand l’enquêteur était enfant. Les certitudes sur lesquelles il s’est appuyé en grandissant n’existent plus et la colère ainsi que l’incompréhension risquent de prendre le dessus. Henri Lessard était-il un espion? La vérité est plus compliquée. Et plus effrayante.

Il est indéniable que Michaud sait raconter des histoires. Il a ce talent de les découper en nous livrant juste assez d’informations et d’émotions pour nous donner envie de continuer la lecture, une qualité essentielle chez un auteur de romans policiers. Ses personnages sont inspirés et crédibles, avec une touche caricaturale ici et là qui les rend attachants et même comiques par moments. Ghetto X a été adapté en série: au moment où vous lirez ces lignes, son intrigue constituera la saison 3 de la série Victor Lessard. Cela paraît presque évident à la lecture du roman: changement de points de vue et d’ambiances, suspense exacerbé et autant de procédés qu’on associe au cinéma et qui sont les ingrédients d’un bon page turner.

Sections rythmiques

Malgré cela, je me suis demandé à plusieurs reprises si Michaud n’avait pas péché par ambition et «mal étreint» son objet, ou ses objets, pour en avoir trop embrassé. Mais ce n’est pas là le problème: l’auteur n’oublie pas son lecteur et nous informe la plupart du temps juste assez pour nous garder dans l’action, intrigues et sous-intrigues compliquées ou pas. Non, c’est plutôt une question de rythme. Certaines scènes m’ont paru trop longues ou bancales. Parfois, par exemple dans une scène d’action, l’auteur semble vouloir «faire des phrases» et a perdu un peu de mon attention, assez fragile il est vrai:

Dans nos vies d’aujourd’hui, le temps fuit, le temps déborde, et il transforme les humains en automates décérébrés courant à l’aveugle et s’agitant sans savoir où ils vont, moins désireux de connaître la trajectoire à emprunter que de continuer à courir.

Ça continue dans la même veine. Ce n’est pas mauvais, c’est même plein de sens, mais pendant une scène d’action où le suspense devrait être réglé finement, ça passe ou ça casse, comme on dit. Souvent, pour moi, ça cassait, surtout considérant la longueur du livre. Le désir d’offrir à son lectorat des romans plus complexes, plus touffus, est tout à l’honneur de Martin Michaud. On sent qu’il ne tient pas son succès pour acquis. Toutefois, un travail plus rigoureux aurait fait ressortir les qualités de Ghetto X.

Pourtant, au moment de conclure, j’avoue que mon verdict penche plutôt du côté positif. Bien sûr, on aurait pu trancher dans le gras du livre pour en affiner le rythme; on aurait pu dégarnir tel ou tel paragraphe quelque peu étoffé; on aurait pu… Mais qu’importe! On se démène avec la vie, on cherche à s’en soustraire, ou au contraire à s’y plonger paradoxalement à l’aide de la littérature, et on serait trop distrait pour apprécier un roman assez bien ficelé à cause de quelques longueurs?

(Je fais des phrases.)

Non, pas le temps de bouder. ♦

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Martin Michaud
Montréal, Libre expression
2019, 552 p., 27.95 $