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Quand la réalité dépasse l'affection

Quand la réalité dépasse l'affection

Trois ans après sa mort, le premier éditeur d’Hélène Monette rassemble les trois recueils de poésie qu’elle a publiés chez lui.

Poésie

Trois ans après sa mort, le premier éditeur d’Hélène Monette rassemble les trois recueils de poésie qu’elle a publiés chez lui.

Elle et moi n’avions pas vraiment de relations d’amitié. Les dernières années, à peine l’ai-je croisée deux ou trois fois dans le quartier de Rosemont. Je ne suis pas sûre que l’amitié avec Hélène ait été une chose simple et agréable. Elle donnait l’impression de faire corps avec le désenchantement, avec cette ironie qu’on peut sentir dans toute sa poésie et qui rebutait ceux qui s’approchaient d’elle. Jamais une poète n’aura fait preuve, tout au long des décennies, d’une telle constance dans le style et dans le sujet qui l’occupait. Son acharnement à dénoncer, à ridiculiser le monde moderne dans ce qu’elle lui trouvait de plus haïssable n’a jamais faibli. Elle était une surdouée qui traînait sa douance là où seuls les kamikazes acceptent d’aller: dans les bas-fonds de leur existence.

Hélène Monette est morte d’un cancer en 2015, probablement sans avoir cédé un pouce de terrain à quiconque, ni à ceux qu’elle appelle ici des «dogs» ou des «porcs» ni à ses amis ou à ses éditeurs. Si on se montrait digne d’entrer dans sa vie, il fallait accepter Hélène Monette avec le bagage de souffrance et de colère qu’elle portait sur son dos à la ville comme à la scène.

Une lente évolution

On oublie souvent le premier titre d’un auteur, mais Montréal brûle-t-elle?, on se le rappellera toujours. Bien qu’étrange, c’est un titre réussi parce qu’il s’incruste dans notre esprit. La poète s’est peut-être inspirée du livre de Dominique Lapierre et Larry Collins, Paris brûle-t-il?, paru en 1964 et racontant la libération de Paris. Écrits avec une imagination débridée, les poèmes de Monette ne nomment jamais directement leurs cibles. Ainsi on y croise des carpes qui «s’ébrouent à faire des bulles/contre le design de leurs écailles», ou bien une autruche «complètement pas essoufflée / endimanchée dans sa zibeline / autoportée dans sa BMW jaune offense». Déjà experte dans ce genre d’attaques détournées qu’elle pratiquera jusqu’à la fin, la poète nous berce d’un flux discursif qu’elle a souvent ponctué, sur les scènes de Montréal, de sa voix douce et chantante. C’est en écoutant cette petite voix qu’on s’efforcera d’aller jusqu’au bout de ce livre de débutante, dont on ne comprend pas toujours les allusions ou la nécessité: «la genèse se tasse / la panique syntonise la détonation détresse / par principe inverse / on se divague l’intention»

Monette ne se gêne donc pas pour commenter ce qui se passe dans la société. Elle parlera tantôt du mouvement pro-vie et de ses «hymnes à la peine de mort», tantôt de l’année 1985, «l’Année inter-MINABLE de la jeunesse». On sait aussi qu’elle va puiser dans d’autres livres la source de son savoir et de ses convictions. Elle lisait ceux qui lui donnaient des munitions.

À partir de son deuxième livre, Lettres insolites, l’écriture se fait un peu plus économe et réfléchie. C’est d’abord une lettre d’amour dans laquelle le style et la manière ont pris de la maturité. Monette semble mieux choisir les mots qui exprimeront son désarroi. Et, dans des vers courts et simples, sans artifice, on trouve parfois la même ironie qu’affectionne le poète franco-ontarien Patrice Desbiens:

Quand je serai grande
et devenue immense
je mourrai un peu

et dans le silence
sur tous les mensonges
j’ouvrirai les yeux.

À la page suivante, on peut lire la fin de ce faux poème de petite fille: «j’irai à l’église / et je serai gentille / avec les copains». Monette n’était pas plus tendre avec elle-même qu’avec les autres: «Je ne tiens pas à ce que je vaux», avoue-t-elle plus loin.

Si, à quelques reprises, les trois livres réunis dans cette anthologie trahissent leur âge, c’est que la poète se tient près de l’actualité — par exemple lorsqu’elle tourne en dérision le slogan du Montréal des années 1980, «La fierté a une ville». On notera aussi qu’elle se préoccupe à quelques reprises de châtier son langage: dans des poèmes pourtant dénués de toute rectitude, c’est en italiques qu’on lira «toune» et «filer» (comme dans «filer mal»).

Pour parfaire la réédition de ces premiers livres, certainement devenus introuvables, l’éditeur aurait pu, dans une préface ou une postface, proposer au lecteur une présentation critique de l’œuvre. Cela reste à faire. Le cheminement de la poète étant terminé, il devient maintenant possible de l’étudier avec toute la distance nécessaire. Gageons qu’Hélène Monette sera encore lue et célébrée lorsque nous aurons oublié beaucoup de poètes actuels. Ses livres feront l’objet de lectures publiques et de rééditions, car ils sont une conscience vive, ils expriment une frustration qui revient de décennie en décennie, toujours la même, devant les embûches entassées sur la route du bonheur collectif. ♦

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Hélène Monette
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2018, 290 p., 23.00 $