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Pour qu'elles apparaissent

Après s’être illustrée dans la bande dessinée documentaire, Mirion Malle se fraie un chemin dans le domaine de la fiction sans compromettre sa posture résolument féministe.

Bande dessinée

Après s’être illustrée dans la bande dessinée documentaire, Mirion Malle se fraie un chemin dans le domaine de la fiction sans compromettre sa posture résolument féministe.

Montréalaise d’adoption, Mirion Malle campe sa première fiction dans la métropole québécoise. On y retrouve Clara, une jeune autrice qui peine à joindre les deux bouts entre sa pratique artistique, son travail d’attachée de presse et une dépression paralysante. Au fil des mois, la protagoniste sombre dans une angoissante sensation de vide et ne parvient pas à renverser le mouvement qui l’entraîne vers le fond. Elle multiplie pourtant les efforts – tentatives infructueuses – pour émerger de son apathie mortifère. Ce n’est qu’après avoir nommé un trauma bien enfoui que l’héroïne, protégée à l’intérieur d’un safe space créé par des ami·es proches, trouve les ressources adéquates pour enfin «réapparaître».
Avec C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle prouve que l’écriture peut bénéficier de l’empathie.

Du documentaire engagé à la fiction bienveillante

Mirion Malle s’est d’abord fait connaître grâce à son blogue Commando culotte (publié en 2016 sous forme de livre aux éditions Ankama), dans lequel elle analyse la culture populaire selon une perspective féministe. Exhaustives et documentées, ses chroniques rendent accessibles à un large éventail de lecteur·rices des lectures féministes de productions grand public. Dans la même lignée, l’autrice a aussi lancé La ligue des super-féministes (La ville brûle, 2019) et illustré Les règles, quelle aventure! (Remue-ménage, 2019), deux titres visant un public adolescent et participant de cette démarche pédagogique et militante. C’est donc forte de son expérience que Mirion Malle s’attelle à un ouvrage de fiction empreint d’une volonté de «normaliser» ce qui pourrait être considéré comme marginal et exceptionnel dans les discours mainstream.

L’écrivaine prend de nombreuses précautions pour décrire de la manière la plus juste possible la trajectoire de Clara. Elle insiste sur de nombreux «détails»: ce faisant, elle détourne plusieurs schèmes normatifs et les montre sous leur angle universel. Ainsi, la douleur d’une rupture n’est pas hétérosexuelle; certains personnages non binaires ne sont pas réduits à cette étiquette; le véganisme ne constitue pas le trait identitaire dominant de Clara. Avec bienveillance, Mirion Malle intègre et valorise les réalités diverses de ses protagonistes. Elle propose à ses lecteur·rices une histoire qui tient compte des enjeux féministes liés à la représentation inclusive, sans négliger pour autant la profondeur de ses personnages. Elle offre plutôt un vocabulaire plus large, plus adéquat, pour appréhender les nuances de la maladie mentale et des émotions en général.

Rendre dicible

C’est comme ça que je disparais se démarque par l’habileté de Mirion Malle à nommer de manière juste des ressentis complexes, et plus particulièrement les effets de la dépression. Plus le temps passe, plus les répercussions de la maladie se font sentir chez Clara: la fatigue constante, les crises d’anxiété et les problèmes de socialisation pèsent sur ses épaules. Le parcours de la protagoniste montre bien comment le manque de ressources adéquates l’affecte durablement. Il met aussi en lumière les difficultés empêchant les membres de l’entourage de la jeune femme de lui offrir une aide concrète, et ce, malgré leurs bonnes intentions. La question de la santé mentale est abordée pour qu’elle soit mieux inscrite dans l’espace social et dans les dynamiques relationnelles.

D’ailleurs, le traitement général des émotions dans le livre permet de comprendre comment s’articulent les effets liés à la maladie et à la résurgence des traumas ainsi que les intrications des subjectivités s’entrechoquant au quotidien. Mirion Malle s’engage avec confiance dans la sphère de ces sensibilités. Sa démarche est appuyée par un trait qui défie les attentes de sa trajectoire et déborde parfois sur d’autres formes présentes dans la case. Certains cadrages voilent la représentation de l’action racontée, ce qui crée une intimité particulière pendant la lecture. La fine ligne noire de l’artiste convoque et détourne les codes de la délicatesse, comme pour illustrer une myriade d’interprétations de nos états sensibles, de nos relations, de nos identités.

Avec C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle prouve que l’écriture peut bénéficier de l’empathie.

Une belle manière de faire apparaître les failles qui nous traversent.

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Mirion Malle
Montréal, Pow Pow
2020, 206 p., 24.95 $