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Plus qu'un jeu

Box Brown fait partie de ces dessinateurs américains underground qui mènent leur barque à leur façon: parutions à compte d’auteur, association avec des maisons d’édition indépendantes, publications en ligne. Sa carrière se bâtit comme il l’entend.

Bande dessinée

Box Brown fait partie de ces dessinateurs américains underground qui mènent leur barque à leur façon: parutions à compte d’auteur, association avec des maisons d’édition indépendantes, publications en ligne. Sa carrière se bâtit comme il l’entend.

Que celui qui n’a jamais joué et, surtout, procrastiné devant Tetris lance le premier bloc! Ce jeu est considéré par plusieurs comme parfait, tant par sa simplicité que par son côté addictif, le joueur cherchant toujours à obtenir plus de points. Combien d’heures passées à empiler les pièces du casse-tête, à voir les lignes complétées disparaître? Box Brown réussit l’impossible avec Tetris, soit raconter la création du jeu lui-même et, par le fait même, le développement exponentiel de l’industrie du jeu vidéo dans les années1980 et 1990, tout en abordant les effets de la mondialisation sur la notion juridique de propriété intellectuelle.

Avant tout, le jeu

Même si les jeux vidéo ne sont pas une passion pour tous, moi le premier, les soixante-cinq premières planches de l’album devraient être lues par les lecteurs curieux de comprendre le phénomène. Brown y explique les vertus du «jeu», de la préhistoire à la fondation de Nintendo en 1989. Ainsi, on apprendra que le terme Nintendo se traduit en français par «travaillez fort, le reste appartient à la providence» et que l’entreprise, dans les premières années de son existence, fabriquait des jeux de cartes. Le travail de vulgarisation de l’auteur est parfait, son dessin exprime clairement des concepts abstraits et la narration n’est jamais lourde. Le rythme de l’album est fluide, Box Brown use de différentes trouvailles graphiques pour animer son récit, ne plaçant pas plus de six cases par planche et même, très souvent, une planche complète faisant office d’une seule case.

L’idée du jeu Tetris naît en 1985 dans la tête d’Alekseï Pajitnov, informaticien à l’emploi de l’Académie des sciences de Russie, qui travaillait alors dans le domaine de l’intelligence artificielle tout en développant un logiciel de reconnaissance vocale. Alekseï adorait les casse-têtes et s’intéressait aux aspects psychologiques du jeu, cherchant à comprendre ce qui peut pousser un être humain à en adopter un particulièrement. Brown plonge ainsi le lecteur dans les pensées et réflexions de l’informaticien et le processus de création s’avère aussi captivant que le résultat. Alekseï se met donc au travail pour adapter en jeu vidéo son casse-tête préféré, pentamino, qui consiste à faire entrer dans une boîte rectangulaire des morceaux de bois de différentes formes (qui deviendront plus tard les blocs que nous connaissons tous). Avec l’aide de son collègue et ami Vladimir Pokilko, il met au point une version qu’ils distribuent ensuite gratuitement sur disquette 5,25 pouces.

Et vint la folie

Alekseï Pajitnov accepte l’offre d’un autre collègue d’éditer et de présenter le jeu à une foire de développement de logiciels en Hongrie. Tetris trouve preneur en la personne de Robert Stein, propriétaire britannique d’une compagnie de logiciels. Seul problème: en Russie, avant la chute du rideau de fer, c’est le gouvernement qui gère les échanges commerciaux. D’ailleurs, les Russes ont créé une société responsable des importations et exportations de logiciels. Stein n’étant pas le seul intéressé par le jeu, plusieurs entreprises se lancent dans la course aux droits d’exploitation internationaux de Tetris.

La suite est digne d’un film hollywoodien: les requins du milieu des affaires tentent de s’approprier la création d’un pauvre ingénieur détaché de la réalité. Heureusement, Henk Rogers, créateur de jeux vidéo devenu président d’une importante compagnie de logiciels, parvient à sécuriser les droits et s’assurera qu’Alekseï récupère ce qui lui revient, tant financièrement qu’au plan de la propriété intellectuelle. Le dessinateur réussit à raconter avec clarté ces événements♦ complexes pour le néophyte. Il présente les nouveaux personnages avant de les montrer en action, situant ainsi toujours son lecteur dans le contexte.

Le plus fascinant dans l’histoire de Brown ne réside pas seulement dans l’immense popularité du jeu à l’échelle mondiale, mais surtout dans la façon de penser d’Alekseï. À une époque où le succès se calcule en dollars, les visées de l’inventeur de Tetris ne pouvaient être plus simples: créer un jeu que les gens aiment. Box Brown prend d’ailleurs le pari de ne pas faire une biographie dessinée «classique» d’Alekseï Pajitnov.

L’album a pour titre Tetris et c’est sur cette pierre angulaire qu’est construit brillamment cet album. L’histoire du jeu telle que Brown la raconte est beaucoup plus qu’une métaphore de la mondialisation. Sa bande dessinée se veut aussi une réflexion sur la création et redonne ses lettres de noblesse au jeu vidéo. La dernière planche de l’album rappelle au lecteur que Tetris fait d’ailleurs partie de la collection permanente du Museum of Modern Art de New York. ♦

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Box Brown
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathieu Leroux
Montréal, La Pastèque
2017, 248 p., 24.95 $