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Pas encore un maudit palmarès

Pas encore un maudit palmarès

Avec Du bon usage des palmarès, Richard Baillargeon signe un essai éclectique et drôlement construit sur l’art des listes.

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Essai

Avec Du bon usage des palmarès, Richard Baillargeon signe un essai éclectique et drôlement construit sur l’art des listes.

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Des palmarès, des palmarès… Les littéraires en ont soupé, des palmarès. Avec une de nos revues locales qui se fend chaque année de son gigantesque palmarès des «100 meilleurs livres québécois de l’année» et la bordée de prix accompagnés de leurs «longues listes», les palmarès ont la cote autant qu’ils provoquent la consternation et l’ire des lecteurs.

Le monde de la musique n’échappe pas à cette calamité et l’esthète Richard Baillargeon s’est penché sur le sujet dans son dernier essai, publié aux éditions Varia. Étrange oiseau que ce Baillargeon: docteur en sémiologie, professeur à l’École des arts de l’Université Laval, artiste visuel et mélomane, il nous pond un essai à l’image de ce parcours atypique. Éclaté, drôlement brillant, décalé, Du bon usage des palmarès est un livre qui semble tout droit sorti d’une autre époque, ce qui vient avec les défauts de ses qualités.

Radio, radio…

Je dis d’une autre époque, d’abord parce que Baillargeon n’entame pas sa réflexion à partir de YouTube et de Spotify, comme on aurait pu s’y attendre, mais bien à partir de la radio, médium dont la plupart des milléniaux ont sans doute oublié l’existence. «[L]a radio n’est plus faite, à de trop rares exceptions près, par des gens de radio», nous explique l’auteur.

Baillargeon part de cette source première, des débuts du hit-parade et du Billboard, pour exposer comment la structure des palmarès s’est cimentée à travers l’histoire. Les aléas de la mise en marché ont rapidement fait des «tops» et des listes, au départ produits par des stations locales pour refléter l’opinion des auditeurs, une manière de diriger l’écoute du public. Pour Baillargeon, ce constat mène à un éloge de la face B et des titres négligés, et il en vient alors à élaborer une théorie de la playlist parfaite qui combinerait «trois paliers»: les grands succès des palmarès, les airs connus et ceux qui sortent des sentiers battus. Facile, non? Par contre, l’auteur ne se contente pas d’énoncer ce principe simple. Dans la deuxième partie du livre, il se lance dans l’exercice étrange d’écrire trois simulations d’émissions de radio, liste de titres et commentaires en prime. «Quessé ça?» de se demander le lecteur. Nous avions tous entendu parler de talk radio ou de trash radio, de radio musicale ou de radioroman, mais de radio écrite, moins souvent.

On en vient rapidement à se demander à qui s’adresse Baillargeon. Qui, à l’heure du podcast, des listes de lecture et des entrevues entre deux vedettes qui mangent, voudrait se lancer dans cet exercice improbable d’animation radiophonique? Qui voudrait, par-dessus le marché, se contenter d’en écrire le résultat et de le publier dans un livre? Une fois le choc initial passé, on se prend surtout à googler les playlists yé-yé de Baillargeon, à chercher «I’m A Loser» de Vince Guaraldi & Bola Sete ou «Pour mon anniversaire, j’voudrais un Beatle» de Manon Labrie. Belles trouvailles, le dj fait bien le travail; l’écrivain, on en est moins certain.

On se moque de nous

Après ces trois simulations, l’essai repart en lion sur des considérations relatives à l’histoire des palmarès. S’ensuivent soixante-dix pages d’annexes (le livre officiel, lui, n’en fait que quatre-vingt-quinze), dans lesquelles on retrouve à de multiples reprises l’adresse courriel de l’auteur: «Quelle que soit votre approche musicale, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et de vos suggestions à l’adresse courriel chansons401@yahoo.ca.» Sérieusement, je n’aime pas les critiques qui interpellent l’éditeur, mais il était où, l’éditeur, hein?

C’était rigolo au début quand l’auteur ne finissait pas vraiment un de ses chapitres et mettait la référence Wikipédia à la place («fr.wikipedia.org/wiki/Classement_du_Billboard», pour les curieux): ça avait un petit côté subversif. Ça l’est moins quand on nous copie-colle telles quelles des entrées de blogues avec les adresses des liens de vidéos YouTube. «[V]ous pouvez ajouter votre grain de sel (ou de sucre) à l’adresse chansons401@yahoo.ca», de reprendre le texte.

La dernière partie, intitulée «En prime: une quatrième dimension, le web», nous entraîne alors dans cette expérience sensorielle qui a souvent fait le pain et le beurre des récits fantastiques, c’est-à-dire ce moment où le héros ne sait plus s’il est dans son propre cauchemar ou celui de quelqu’un d’autre. Appartiens-je à la quatrième dimension pour entrer dans la tête de Baillargeon? Nous ne le saurons jamais, mais il reste du livre Du bon usage des palmarès quelques bons titres à écouter. On attend l’émission de radio. Pour le reste, vous pouvez toujours m’écrire à samuel.mercier.1@gmail.com si vous avez des commentaires. ♦

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Richard Baillargeon
Montréal, Varia
2019, 165 p., 15.95 $