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Mémoire vivante

Avec ce troisième volume des Récits du presque pays, François Racine poursuit son œuvre de mémoire. Revisitant nos grands textes d’hier et fournissant des angles originaux à ceux d’aujourd’hui, il nous aide à nous souvenir de la richesse de notre culture.

Roman

Avec ce troisième volume des Récits du presque pays, François Racine poursuit son œuvre de mémoire. Revisitant nos grands textes d’hier et fournissant des angles originaux à ceux d’aujourd’hui, il nous aide à nous souvenir de la richesse de notre culture.

Après trois romans axés sur la dernière décennie, François Racine amorçait en 2018 une série de contes et de nouvelles dépareillés: d’abord Sainte-Souleur (2018), puis Saint-Calvaire (2019) et maintenant Saint-Tourment, tous parus chez Québec Amérique. Ce projet, mis en branle depuis près de cinq ans, arpente nos recueils de contes, fouille nos ouvrages historiques et réfléchit à la formation des histoires nationales, avant qu’elles ne se figent. L’originalité et la force de l’entreprise résident surtout dans la virtuosité et l’inventivité déployées par l’écrivain, qui s’intéresse à des lieux communs sans s’engluer dans le convenu. Le pas de côté, le pastiche et le mélange renouvellent chaque fois notre attrait pour ces histoires usées jusqu’à la corde.

Du conteur à l’écrivain

Saint-Tourment ne fait pas exception à la règle et marche dans la piste ouverte par les deux volumes précédents. On sent toutefois Racine de plus en plus libre dans ses contraintes, comme s’il n’avait plus à se questionner sur le sens de son projet, s’amusant dans ce kaléidoscope de formes. Le conteur fait place à l’écrivain, sans que la verve initiale se tarisse.

La première nouvelle, «Tremble-terre», se penche sur les interprétations mystiques attribuées au tremblement de terre de 1663, qui a secoué assez sérieusement la ville de Québec. Au sein du couvent de Marie de l’Incarnation, les sœurs s’interrogent sur les possibles causes de la catastrophe naturelle à l’aune des failles morales, qui craquellent en chacune la façade de piété. Particulièrement réussi, «W pour Wendigo» oppose le huis clos d’une jeune famille, que la violence conjugale menace, à de multiples recensions de cas de cannibalisme, perpétrés peu de temps avant le passage à l’acte par des pères de famille autochtones parfaitement sains d’esprit. S’ajoute à l’intrication de ces deux trames un conte on ne peut plus fréchettien, qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.

En marge de l’histoire

Changement complet de registre pour nous diriger vers les berges noyées dans le sang canadien de la Normandie. En deux pages, nous voici complètement chevillé·es à ce nouveau récit explorant le triste sort d’une bande de jeunes hommes pauvres d’Hochelaga. En quête d’héroïsme, ils ne trouveront en France que la désolation et la mort. Une nouvelle qui n’a pas à rougir des grands romans de guerre à la Cendrars, Jünger et compagnie. «Rosie la Mante» nous entraîne sur les traces d’une effeuilleuse magnétique, dans le Montréal du Red Light. Esquissée à partir d’entrevues fictives réalisées par un journaliste, cette histoire est aussi une galerie de portraits qui emprunte, sans s’en cacher, au Tremblay de Sainte Carmen de la Main (1976).

Par ailleurs, «Matraque d’octobre» nous replonge dans les mystères entourant la crise d’Octobre et l’instrumentalisation de certaines cellules du FLQ par la GRC. On se croirait en plein roman d’espionnage, alors qu’un militant indépendantiste devient agent double et pense pouvoir se servir des fédéraux pour faire avancer sa cause. Un bijou paranoïaque qui rappelle le grand ouvrage de Louis Hamelin, La constellation du lynx (Boréal, 2010):

Les limiers le savent: prendre un homme par surprise avant le lever du jour, frapper à sa porte alors qu’il sombre en plein sommeil le rend psychologiquement vulnérable et lui enlève l’essentiel de sa capacité de résistance. […] En sous-vêtements, les coins des yeux encroûtés, confus, rêvant presque encore, on est aussi démuni qu’un enfant, on n’a pas assez d’emprise sur le réel pour s’opposer même à l’absurde, puisqu’on est encore pris dedans.

Drames contemporains

Sur le versant plus intimiste du recueil, on trouve «Déluge en Saguenay», qui relate le chemin de croix d’un motard hanté par une tragédie familiale. Le troisième volume de la série de Racine se conclut par «Ça va bien aller», nouvelle dont on devine sans mal la thématique. Considérant le cours du monde, peut-être était-ce quelque peu prématuré de vouloir traiter de la crise covidienne. Malgré son sujet plombant (devrait-il faire l’objet d’un moratoire fictionnel?), ce journal d’une ange gardienne sur le champ de bataille des CHSLD rend bien compte de ces drames que nous préférons souvent occulter. N’est-ce pas là l’un des rôles les plus importants de la littérature? François Racine l’a compris et continue de nous entraîner, livre après livre, au cœur de ce qui définit notre culture, que ce soit plaisant ou douloureux. Ce n’est pas toujours aussi galvanisant que La Marseillaise ni aussi glorieux qu’un God Save the Queen, cela n’a pas la flamboyance des drapeaux, mais c’est certainement plus nuancé.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
François Racine
Montréal, Québec Amérique
2022, 360 p., 24.95 $