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L'héritage des Forges

Pour souligner leurs cinquante ans d’existence, les Écrits des Forges nous offrent une anthologie de poèmes publiés à leur enseigne. L’aspect terne de l’ouvrage empêchera peut-être certain·es de goûter la célébration de la poésie qui s’y déploie.

Poésie

Pour souligner leurs cinquante ans d’existence, les Écrits des Forges nous offrent une anthologie de poèmes publiés à leur enseigne. L’aspect terne de l’ouvrage empêchera peut-être certain·es de goûter la célébration de la poésie qui s’y déploie.

La vénérable maison d’édition de Trois-Rivières bénéficie d’un catalogue abondant et varié. Elle se distingue par son volet international, grâce notamment à ses liens forts avec le Mexique. Aussi, le défi que s’est imposé Bernard Pozier, son actuel directeur littéraire, à savoir synthétiser le catalogue des Forges en un seul volume, est considérable. Le principe qu’il s’est donné pour arriver à ses fins est simple: un·e poète, un poème, une page. Au bout du compte, ce sont cent un écrivain·es québécois·es, quarante français·es, quarante-cinq mexicain·es et quarante issu·es «de divers horizons» (dont l’Acadie) qui s’entassent entre les deux couvertures de l’anthologie.

Une sobriété ascétique

Lorsqu’on tient le livre entre ses mains et qu’on se met à le feuilleter, des interrogations surgissent: à qui s’adresse-t-il? Qui a intérêt à l’acheter, à le parcourir? D’emblée, il est difficile de s’y retrouver. Les poètes et leur poème sont présentés en ordre chronologique de publication et regroupés selon leur origine géographique. Aucune référence bibliographique ni date de parution n’éclairent les textes. Pour connaître de quel recueil est issu un coup de cœur, il faut se référer à l’index, où les titres sont classés par ordre alphabétique d’auteur·rice. Beaucoup a été sacrifié pour laisser le maximum d’espace aux œuvres. C’est en principe louable. Mais je l’avoue, cette sobriété ascétique m’a déçu. L’anthologie a un aspect désuet et ressemble à n’importe quelle revue savante qui prend la poussière dans les bibliothèques universitaires. L’appareil critique est squelettique: Pozier résume en trois pages l’histoire des Écrits des Forges et leur poétique, mais il en consacre sept (SEPT!) à une liste scrupuleuse de tous·tes les auteur·rices publié·es au cours des décennies. Cette longue énumération ne sert à rien, sinon à convaincre les lecteur·rices de l’importance de la maison. Toutefois, si on lit l’anthologie, on la reconnaît, cette importance. Inutile donc de nous la rappeler!

Le défi de la sélection

L’essentiel du travail d’anthologiste, après tout, demeure la sélection des textes. Et comme je l’ai dit, la tâche de Pozier était colossale. Ce qui avait fonctionné pour Les Herbes rouges il y a trois ans, c’est-à-dire inclure l’ensemble des écrivain·es publié·es au cours des dernières décennies dans un même florilège, s’avérait tout simplement impossible pour les Écrits des Forges. Leur catalogue est trop vaste. Ainsi, au lieu de choisir quelques plumes privilégiées dont les livres résumeraient les orientations esthétiques de l’institution, Pozier a ratissé large et réuni le plus de poètes possible. Cela dit, en limitant la contribution de chaque auteur·rice à un texte, il efface les inégalités entre les œuvres. Claude Beausoleil: plus de trente recueils en quatre décennies? Une page, un poème. Marie-Ève Comtois: deux livres au cours des dix dernières années? Une page, un poème. À mon sens, on perd, par cette méthode, le sentiment d’identité de la maison d’édition. On en vient à se dire que l’importance des Écrits des Forges tient à l’abondance de leurs publications et au fait… qu’elles sont importantes.

Pour une poésie universelle

Au fil de la lecture, néanmoins, la cohérence des textes frappe. Pozier en fait brièvement état dans sa présentation: «On a toujours privilégié une poésie relativement accessible, proche de la parole […].» L’anthologie rassemble des écrits lyriques, habités par l’intranquillité, puisant souvent leurs images dans la nature et privilégiant le vers libre. Personnellement, la section consacrée à la poésie mexicaine m’a paru la plus forte, peut-être parce que, justement, j’ai ressenti avec le plus d’acuité un dépaysement par rapport à des thèmes familiers. À force de percevoir des affinités entre des poètes issu·es de pays et d’époques différents, j’en suis venu à reconnaître les mérites de l’approche particulière de Pozier. En présentant les poèmes dans leur nudité, il leur a restitué leur universalité. Ce faisant, il rend possible le dialogue à partir des textes, au-delà des frontières temporelles et spatiales, et insiste sur la nécessité de le poursuivre coûte que coûte.

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Bernard Pozier
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2021, 262 p., 22.00 $