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L'héritage de l'apothicaire

Prenez un historien de grand renom, donnez-lui pour sujet une mise à jour de l’histoire d’un des couples fondateurs du Québec et offrez-lui l’opportunité de sortir du récit historique classique.

Essai historique

Prenez un historien de grand renom, donnez-lui pour sujet une mise à jour de l’histoire d’un des couples fondateurs du Québec et offrez-lui l’opportunité de sortir du récit historique classique.

L’historien émérite Jacques Mathieu s’est associé au spécialiste en phytologie Alain Asselin pour publier un livre rendu nécessaire, notamment par la découverte à Paris au début de l’année 2017, de l’acte de mariage de l’apothicaire Louis Hébert avec Marie Rollet. Une mise à jour de l’histoire de ce couple mythique s’imposait et ce livre sort quelque peu des sentiers battus en termes de littérature historique, puisque son récit est construit comme une enquête journalistique,
où l’historien pose ses questions directement à Louis Hébert.

Le livre est divisé en deux grandes parties distinctes qui permettent d’une part de revenir sous forme d’entretien sur la trame historique principale du couple, ponctuée de nombreuses anecdotes et appuyée de cartes, de plans de ville et d’artefacts archéologiques, puis d’aborder d’autre part le discours historique et scientifique,
les commémorations et la manière dont l’héritage de ces personnages a été véhiculé jusqu’à aujourd’hui.

Un grand apothicaire

Certaines de nos connaissances sur Louis Hébert étant erronées, l’historien amorce son enquête en demandant au principal intéressé ce qu’il pense de sa notoriété, incarnée dans une immense statue de lui et sa famille inaugurée à Québec en 1917. Cette première question permet d’emblée à Louis Hébert de rétablir le fait qu’il est venu en Nouvelle-France pour la première fois en 1606 et non pas en 1604, une date largement répandue. Louis Hébert ajoute même:

L’on peut toutefois regretter l’absence de place faite aux Amérindiens, avec qui nous avons entretenu des relations étroites. Marie Rollet en particulier a adopté, soigné et éduqué de jeunes Amérindiennes en situation difficile.

Le ton est dès lors donné. Louis Hébert, par l’entremise du style de l’entrevue, pourra nuancer les affirmations parfois trop enthousiastes sur sa vie et ses héritages et ajouter à l’occasion quelques détails. L’apothicaire nous parle de sa naissance et de son enfance à Paris dans un contexte familial particulier, puisque son père, après le décès de sa première femme, s’est remarié avec la mère de son gendre. Cette jeunesse nous est racontée avec des plans de Paris du XVIIe siècle, ce qui nous aide à situer les lieux qu’il a fréquentés. L’historien ajoute à l’occasion des marqueurs spatiotemporels et des éléments historiques qui nous font comprendre la grande trame dans laquelle Louis Hébert a vécu, et notamment les sanglantes guerres de religion en France:

[...] le futur roi Henri IV, a même dû littéralement assiéger la ville pour être reconnu. Tout cela avant d’abjurer le protestantisme et... Bon, bon, voilà que je m’emballe et que je fais étalage de mon savoir. Mais vous, Louis Hébert, vous étiez encore tout jeune à ce moment, comment ce conflit a-t-il pu vous concerner ?

Au gré des échanges entre Louis Hébert et Jacques Mathieu, nous suivons le parcours qui le mène à sa profession d’apothicaire et découvrons son intérêt pour les plantes. Puis nous entrons dans le vif du sujet et suivons l’histoire de son mariage avec Marie Rollet, de son amitié avec Samuel de Champlain et du contexte de sa venue dans la toute jeune colonie qu’était la Nouvelle-France.
Un nouveau monde auquel il fallait s’adapter.

Mémoire et réalité historique

Dans la seconde partie, Jacques Mathieu change de ton et retourne à la démarche plus traditionnelle de l’historien pour questionner, expliquer et nuancer ce que nous avons gardé en mémoire de Louis Hébert et de sa famille. Ici, les sources écrites et archéologiques sur la vie, la mort et même l’inhumation du colon sont citées et leur degré de pertinence est constamment évalué. L’historien aborde entre autres la question du remariage de Marie Rollet, qui a longtemps été gardé sous silence, comme si se remarier après le décès de Louis Hébert était en quelque sorte une trahison à l’histoire.

Alain Asselin démontre de son côté l’apport de Louis Hébert dans le domaine de la phytologie, mettant très bien en évidence l’esprit critique du pharmacien et l’établissement d’un important maillage scientifique entre la France et la Nouvelle-France au XVIIe siècle.

Septentrion nous offre ici un ouvrage unique et novateur dans la littérature historique. En imaginant une discussion entre lui et Louis Hébert, Jacques Mathieu rend l’histoire vivante, moins scolaire et plus humaine. Les digressions de l’historien, qui fait parfois étalage de son savoir dans la conversation, permettent de remettre le lecteur en contexte et lui évitent de se perdre dans le récit. En plus des cartes et des plans de ville, l’ouvrage est agrémenté de photos d’artefacts et de plantes, ce qui contribue encore une fois à une meilleure compréhension du monde de Louis Hébert et de son épouse Marie Rollet. Le vieil adage qui dit qu’on ne doit jamais juger un livre à sa couverture s’applique particulièrement ici, le dessin ne laisse rien soupçonner de l’originalité de l’ensemble, Louis Hébert y semble surtout sorti d’un roman Harlequin.♦

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Jacques Mathieu, Alain Asselin
Québec, Septentrion
2017, 240 p., 24.95 $