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Lettre aux écrivains des Premières Nations

Dossier

La colonisation voulait qu’on se taise et qu’on disparaisse dans la tourmente du Nouveau Monde. Mais nous nous sommes maintenus. Un sauvetage à écrire.

La littérature autochtone n’a pas la dimension sacrée des contes et des mythes de la tradition orale, mais elle en est une continuation. Elle perpétue cette tradition en intégrant des éléments de modernité.

Elle est dynamique.

Elle montre comment nos cultures savent évoluer tout en gardant l’essentiel: ce pour quoi nous sommes au monde, et là d’où nous venons.

Nos récits, pleins de sagesse et d’humilité, disent que partager est possible. Nos récits enseignent la grandeur de nos espoirs, de notre amour de la vie. Nos récits naissent de cet élan et ils sont sans concession. Nos récits ont du tranchant et de la dignité. Ils sont la célébration de la survie.

Écrire, c’est exister. C’est une expérience pour soi qui est aussi partageable avec l’autre. Des savoirs nouveaux font de l’entrée en écriture une aventure humaine, au même titre qu’apprendre à jouer seul avec la face cachée de notre être. Écrire, c’est décider de penser par soi-même, c’est affirmer son droit d’expérimenter, de faire, de défaire et de refaire… et c’est tâter patiemment la réflexion collective à partir des découvertes, des surprises et des interrogations des lecteurs.

Écrire signifie entreprendre de penser autrement le temps humain. Écrire, c’est tenter de mettre en relation hier et demain, l’héritage et ce qui est à venir, et ainsi prendre place dans la filiation. Écrire pour témoigner, pour ne pas oublier, pour donner à la relation humaine l’épaisseur de la mémoire, pour mettre à jour le patrimoine. Écrire pour instaurer un dialogue vivant entre les époques, les cultures.

Écrire peut jouer un rôle fédérateur. C’est savoir donner et savoir recevoir. Écrire n’est pas une fin en soi. Écrire signifie explorer un rapport à la langue, mais aussi à l’autre, aux autres. Écrire invite à la réflexion: comment les êtres humains échangent-ils à travers la langue, sachant que celle-ci les expose toujours au risque de la polysémie, à la nécessité de négocier le sens, à l’obligation de vivre dans un possible malentendu?

Un auteur écrit à partir de lui-même – sinon, à partir de qui ou de quoi écrirait-il? –, mais il ne reproduit pas ce vécu in extenso; les humains ne sont pas des ordinateurs qui enregistrent un certain nombre de données pour lesquelles ils ont été programmés. Les humains sont des consciences qui perçoivent, c’est-à-dire qui peuvent nouer des relations vivantes avec ce qui les entoure. L’appropriation du monde vécu par un écrivain, les transformations que son imaginaire fait subir au réel brut, sont fondamentales. L’une des caractéristiques importantes de l’écriture littéraire est son originalité. Or, on la doit beaucoup à notre histoire, à notre vécu. C’est à travers cela que les choses sont restées présentes à notre conscience. C’est un canevas à partir duquel l’auteur s’éveille.

Nous, écrivains, sommes des consciences incarnées dans le réel, des existences qui s’approfondissent grâce aux relations qu’elles entretiennent avec le monde, avec les autres et avec elles-mêmes. Il nous faut donc demeurer en relation avec ce qui nous a forgés. Tant et aussi longtemps que quelqu’un entretient avec son enfance historique – avec ses origines, ses racines – des relations teintées de gêne ou, encore pire, qu’il la récuse totalement, il aura beaucoup de difficulté à enraciner son écriture dans la réalité et, donc, à la charger de sens.

Comme écrivains autochtones, nous avons l’avantage de ne pas avoir voulu mourir, d’assumer avec fierté nos origines au lieu de tenter, par tous les moyens, de nous en soustraire – pour les remplacer par des origines artificielles, créées à partir de l’image de ce que les autres auraient aimé que nous soyons. Aujourd’hui, l’écriture nous met au monde en nous permettant de prendre forme et visage. Nous prenons place dans le monde littéraire. Nous sommes étudiés. La critique nous reconnaît. Mais l’écriture est aussi de l’art, et de plus un métier. Nous comprenons que pour qu’il y ait œuvre littéraire, il faut nous rendre aux mots et au langage. Pour cela, il faut apprendre. Lire les autres, aussi différents qu’ils soient. S’instruire au sujet du cheminement de tel ou tel écrivain, parler de ses textes, demander conseil. Tout cela fait partie intégrante de la démarche de celui qui écrit. Les mots et le langage sont des lieux privilégiés d’expression, des lieux habitables. Mais ils sont une grande maison ouverte où l’on ne se sent pas forcément naturellement chez soi. Car ces lieux ne sont pas donnés: ils s’acquièrent, d’abord par l’initiation, puis par l’exercice fou et par la pratique constante. Jusqu’à arriver à vivre pour écrire.

Merci!

 


Jean Sioui est wendat. Il est poète et romancier. Il est l’auteur de trois livres jeunesse: Hannenorak, Hannenorak et le vent, Hannenorak et les rêves. Il a publié sept recueils de poésie: Le pas de l’Indien, Poèmes rouges, L’avenir voit rouge, Je suis île, Entre moi et l’arbre, Avant le gel des visages, Mon couteau croche, A'yarahskwa' / J’avance mon chemin. En 2021, il fera paraître un nouveau recueil de poésie, Au couchant de la terre promise, et un premier roman, Yändata l’éternité au bout de ma rue. En 2010, il a cofondé avec son fils les éditions Hannenorak.

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