Aller au contenu principal

L'état de la terre

Fermes bio, vente des terres à des conglomérats étrangers, difficulté des jeunes agriculteurs à vivre, les sujets ne manquent pas quand on parle d’agriculture. Mais accordons-nous suffisamment d’importance à ces questions?

Bande dessinée

Fermes bio, vente des terres à des conglomérats étrangers, difficulté des jeunes agriculteurs à vivre, les sujets ne manquent pas quand on parle d’agriculture. Mais accordons-nous suffisamment d’importance à ces questions?

Quelle belle idée de La Pastèque et d’Atelier 10 (maison d’édition du magazine Nouveau Projet) de se lancer dans la publication de bédéreportages en créant la collection «Journalisme9». Dans Faire campagne, premier titre de la collection, le journaliste Rémy Bourdillon et l’illustrateur Pierre-Yves Cézard, deux Français vivant au Québec depuis plusieurs années, dressent un portrait réaliste, parfois aride, du renouveau de l’agriculture au Québec.

La bédéreportage connaît depuis quelques années du succès, grâce entre autres à des auteurs comme l’Américain Joe Sacco (Palestine, une nation occupée), le trio Guibert/Lefèvre/Lemercier et leur trilogie Le photographe, ou encore avec la parution de La revue dessinée, magazine contenant des reportages en bande dessinée. La bédé devient ainsi un outil d’information, elle est «utilitaire». Malheureusement, à part quelques rares essais dans des magazines comme Nouveau Projet (sous la plume d’ailleurs des deux auteurs de Faire campagne), cette façon d’informer n’a jamais connu de véritables tentatives au Québec. On ne peut que se réjouir d’assister à la naissance de cette nouvelle collection qui publiera annuellement un titre. Espérons que cette aventure donne envie à d’autres maisons d’édition de suivre l’exemple.

Agriculture complexe

Il est grand temps que le Québécois moyen s’intéresse vraiment à ce qui se passe en agriculture. L’heure a sonné il y a longtemps déjà, et les reportages dans les journaux et à la télévision pullulent. Cependant, bien malin qui serait capable d’expliquer en détail la bête. Certains documentaristes s’y sont brillamment attardés, pensons à Marc Séguin et à son film La terre et son état, mais son point de vue était biaisé pour certains. On ne pourra pas faire le même reproche à Rémy Bourdillon, qui, pendant un an, a rencontré de nombreux intervenants du monde rural. Des agriculteurs à grande échelle aux petits producteurs, des dirigeants de l’Union paysanne à l’ancien attaché politique de Jean Garon, ministre de l’Agriculture sous le gouvernement Lévesque, le portrait est presque complet. Comme dans plusieurs reportages ou documentaires sur le sujet, on parle beaucoup du pouvoir de l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui, elle, reste muette. L’auteur se déplace même au Nouveau-Brunswick afin d’illustrer comment se gère l’agriculture dans cette province. Le lecteur se trouve ainsi à même de tirer ses propres conclusions en comparant les différentes façons qu’ont les gouvernements provinciaux de traiter les agriculteurs.

Rémy Bourdillon construit son enquête à partir de quelques pivots, et notamment la coopérative La Mauve située à Bellechasse. En s’entretenant avec différents producteurs qui la fournissent, il nous fait comprendre leur réalité, eux qui tentent de survivre dans cette véritable jungle. La révolte qui habite les petits producteurs de volailles qui ne peuvent produire plus de cent bêtes par année s’explique, tout autant que les dilemmes auxquels font face les producteurs laitiers aux prises avec la complexe gestion de l’offre. L’information est parfois si dense que le lecteur devra relire certaines planches avant de saisir toutes les nuances, surtout si, comme le citadin chroniqueur que je suis, il ne connaît pas nécessairement le fonctionnement quotidien d’une ferme.

Les dessins de Pierre-Yves Cézard sont exempts de fioritures, son trait réaliste et sa façon de tracer un portrait physique extrêmement ressemblant des différents intervenants appuient la crédibilité des propos de chacun. Sa construction des planches est tout aussi habile, la grosseur des cases varie à chaque page,
tout comme les angles utilisés. Cependant, on a parfois l’impression que le dessin étouffe sous les nombreux phylactères, certaines cases sont beaucoup trop chargées. L’idée de représenter des cartes routières en plaçant les personnages là où ils habitent est toutefois excellente, de même que les plans larges des différents établissements qui nous aident à nous situer.

La juste part des choses

Les rencontres de Rémy Bourdillon montrent bien que tous les agriculteurs ne mangent pas à la même table, même ceux qui tentent de tirer leur épingle du jeu par des méthodes axées davantage sur la culture bio ou la petite échelle. Les exploitants liés à l’Union paysanne, créée par Roméo Bouchard, sont beaucoup plus critiques face à l’UPA que les producteurs sympathiques à la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (la CAPÉ), qui, elle, tient à ne surtout pas se mettre à dos l’UPA, croyant à une concertation entre tous les partis. Le journaliste ne prend pas position, on sent cependant une légere faveur pour l’Union paysanne, mais son profond désir est de montrer les faits et d’exposer à la population l’importance qu’ont toutes ces personnes dans notre vie. De fait, les décisions prises par le ministère de l’Agriculture et par l’UPA (seul syndicat accrédité des agriculteurs) viennent affecter significativement la façon de se nourrir au Québec. Et si cet ouvrage, malgré des explications parfois arides, arrive à conscientiser quelques lecteurs, la mission de Rémy Bourdillon et de Pierre-Yves Cézard sera accomplie. ♦

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Rémy Bourdillon, Pierre-Yves Cézard
La Pastèque, La Pastèque
Journalisme9
2018, 144 p., 23.95 $