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L'espace d'une vie

Le petit astronaute est une de ces œuvres qu’on commence sans appréhension et qui, tout au long de ses pages, nous renverse. C’est beau, mais beau…

Bande dessinée

Le petit astronaute est une de ces œuvres qu’on commence sans appréhension et qui, tout au long de ses pages, nous renverse. C’est beau, mais beau…

Jean-Paul Eid est un auteur important du milieu de la bande dessinée au Québec: pensons à son personnage de Jérôme Bigras, né dans les pages du défunt magazine Croc, ou à cet album culte qu’est devenu Le fond du trou (La Pastèque, 2011), récit autour de ce vrai trou qui traverse physiquement le livre. C’est un artiste qui ne fait jamais deux fois la même chose, de la science-fiction des Naufragés de Memoria (Les 400 Coups, 1999) au Montréal des années 1950 dans La femme aux cartes postales (La Pastèque, 2016). Avec Le petit astronaute, il nous offre son ouvrage le plus personnel et, du coup, le plus universel.

Une histoire simple

C’est dans ses souvenirs d’enfance que Juliette, maintenant une jeune femme, fouille tandis qu’elle visite la maison où elle a grandi. Elle se revoit y entrer pour la première fois avec ses parents et son frère Tom, encore bébé. Ensemble, ils forment une famille unie qui s’aime, écoute de la musique et joue. Pourtant, Tom, prénommé ainsi à cause de la chanson Space Oddity (1969), de David Bowie, reste dans sa bulle, ne babille pas et ne semble pas stimulé par son environnement. Après plusieurs tests, le verdict tombe: paralysie cérébrale. Miguel et Pénélope, les parents, encaissent durement le coup. La colère, l’incompréhension et la peine surgissent, mais c’est surtout la furieuse envie de donner le meilleur à Tom qui prend le dessus.

Jamais Eid ne s’enlise dans la mièvrerie. Les situations qu’il dépeint font partie du quotidien des membres de cette famille, qui doivent également apprendre à gérer les commentaires obtus des autres, les regards curieux de certain·es. L’auteur raconte en trois cases (chacune présentant un établissement différent) les déboires des parents à la recherche d’une garderie pour Tom. Il donne ensuite à lire en cinq planches une discussion avec une énième directrice. L’échange qui suit entre le père et la mère exprime clairement ce que peuvent ressentir des parents dans ces situations.

Les mois passent. Tom grandit sans jamais vraiment vieillir. Sa famille prend soin de lui, les gens qui l’entourent veulent l’aider. La relation que Juliette tisse avec son frère est attendrissante. Elle lui raconte le soir venu une histoire, et comme Tom ne parle pas, elle colle son oreille à la sienne pour déchiffrer ce qui trotte dans sa tête. Ces planches poétiques et colorées arrivent au milieu de l’album. Fidèle à lui-même, Eid s’amuse avec les codes de la bande dessinée. Je pense entre autres à cette page où les cases sont tournées à quatre-vingt-dix degrés (je vous laisse en découvrir la raison par vous-mêmes). De telles trouvailles s’imbriquent à merveille dans l’ouvrage. Elles ne sont pas là pour épater la galerie, mais bien pour ajouter de la fantaisie au récit.

Le beau monde

À la fin de l’album, Eid nous apprend que son fils souffre de paralysie cérébrale. C’est dit simplement, surtout pour expliquer le contenu véridique du livre et non pour émouvoir avec «une histoire vécue». Dans certains passages, le bédéiste arrive à nous bouleverser par ses choix scénaristiques. Lorsque les enfants de la garderie accompagnent Tom à l’école spécialisée qu’il fréquentera l’année suivante, ils sont intimidés par les jeunes handicapé·es qu’ils croisent. Très rapidement, cela dit, les différences s’amenuisent, et tout le monde s’amuse. Puis l’auteur nous plonge dans la conversation entre l’éducatrice du garçon et la directrice de l’établissement. «Ici, la différence c’est la norme», affirme cette dernière en regardant les bambins jouer ensemble. Cet échange sobre, très loin du drame pathétique, prépare les lecteur·rices aux événements à venir.

Ce n’est pas un témoignage sur la vie difficile d’un enfant handicapé que Jean-Paul Eid nous livre, mais plutôt la représentation d’une famille qui, malgré les obstacles, arrive à vivre en paix avec une situation déchirante. Loin d’être parfaits, les personnages sont simplement humains. L’auteur démontre son savoir-faire et laisse entendre sa voix de façon magistrale. Le petit astronaute, pour sa part, s’exprime à l’aide de pictogrammes. D’ailleurs, le dessinateur reproduit ceux-ci au début et à la fin du livre. Les lecteur·rices souriront certainement en les examinant.

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Jean-Paul Eid
Montréal, La Pastèque
2021, 156 p., 32.95 $