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Les syncopes de Philippe Drouin

Les syncopes de Philippe Drouin

Avec son plus récent recueil, le poète de Mont-Louis clôt une trilogie consacrée à de grandes figures musicales.

Poésie

Avec son plus récent recueil, le poète de Mont-Louis clôt une trilogie consacrée à de grandes figures musicales.

Durant l’enfance, Philippe Drouin a été happé par la musique et les voix incomparables des sœurs McGarrigle. C’est en effet le genre d’expérience qu’on n’oublie pas: depuis leurs débuts, ces deux chanteuses de Montréal avaient tout pour séduire et n’ont laissé personne indifférent. Personnellement, je les aime, mais ma sœur, elle, les trouve insupportables! Le poète, de son côté, a décidé de rendre hommage à leur influence dans un recueil qui, au demeurant, ne parle pas beaucoup d’elles — ni vraiment de musique —, mais plutôt de l’effet qu’ont sur lui leur incroyable énergie et leur talent.

Comme il semble avoir été écrit d’un souffle, il faudrait lire d’une traite ce petit livre syncopé, haché au possible, dans lequel de nombreux vers ne comportent que deux ou trois mots, sinon un seul, et s’achèvent presque invariablement par un point final! L’agacement du lecteur est de courte durée: passé la surprise devant cet abus de ponctuation, on entre volontiers dans l’univers du poète. Et bientôt, on y trouve de la beauté, pas mal d’assurance et un ton très juste. Il y a chez Philippe Drouin un empressement à faire valoir son droit à la vie, à forger son existence, tout simplement: «Que le ciel valse/dans une langue étrangère./Bousculé./Intranquille./Coupable./Décadent./Je dois vivre.» En liant son existence à celle des sœurs McGarrigle, deux femmes autour desquelles a toujours semblé souffler un grand vent de liberté, peut-être voulait-il simplement faire l’éloge de la différence et montrer qu’il faut prendre sa place dans le monde, de gré ou de force. Drouin le dit à sa manière: «Contraindre la nuit/à me donner son chien.» Un peu plus loin, il évoquera la notion de risque: «Briller d’imprudence./Pour un royaume./À mes tempes.» Soûlé par la violence de ceux qu’il appelle les abrutis, il réclame la paix: «Qu’on me sacre./Je dois tenir/parfaitement ivre/au creux des limbes.»

Vivre, vivre!

Peut-on parler de poésie engagée? Certainement pas, sinon la majorité des poètes actuels pourraient se draper dans ce séduisant manteau. Le livre de Drouin se veut quand même un hymne à la résistance et à la liberté. Rappelons que son précédent recueil, Tutu, évoquait déjà, avant de glisser vers la figure tutélaire de Desmond Tutu, la Nuit de Cristal, ce pogrom antijuif organisé par Hitler en novembre1938.

Mais les sœurs McGarrigle alors? Dans les deux premiers livres de la trilogie, c’étaient Bernstein et Miles Davis qui servaient de prétextes au poète pour lancer ses textes dans le monde. Veillaient alors sur lui trois figures importantes de la poésie: Hölderlin, Rimbaud et Supervielle. Peu d’éléments sur la musique, donc, dans Kate et Anna font de la musique, même si les deux femmes sont souvent nommées: «Rêvant d’eau./De drames, de cerisaies./J’entends Kate./J’entends Anna./Je m’élève./Poing et lueur./Tête-bêche./Corps sifflant./Je cours au pâturage mettre joie avec joie.»

Prendre la langue à rebours, cela semble nécessaire pour Drouin: «Le vent me confesse./Les merles grincent./J’habite un trésor.» Repousser la prose, éloigner l’adverbe, organiser l’énoncé par petits bouts. Bouts de joie, bouts d’énergie, bouts de honte et de colère, bouts d’audace et d’effronterie: voilà le corps cadencé du poème, voilà la manière heurtée de celui qui l’écrit.

Finaliste à plusieurs prix majeurs (Terrasses Saint-Sulpice, concours littéraire de Radio-Canada), Philippe Drouin construit une œuvre personnelle qui convie les grandes figures de ce monde. Il réclame le droit de s’allier à la beauté des œuvres de ceux qui l’ont précédé. Habité par les voix, amoureux des autres, il s’élance à leur rencontre comme un homme cherchant les meilleurs compagnons de route. Parfois, il se contente de danser dans leur sillage en sculptant son destin à leur image. Mais il sait qu’il doit d’abord veiller sur lui-même: «Que les lois poussent./Je reste prompt./Malin jaloux./Bourreau de ma vertu.» ♦

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Philippe Drouin
Montréal, Les Herbes rouges
2019, 56 p., 15.95 $