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Les rois du monde

Rigoureusement, Martine Delvaux déboulonne les rouages du boys club pour en exhiber le vrai visage.

Thématique·s
Essai

Rigoureusement, Martine Delvaux déboulonne les rouages du boys club pour en exhiber le vrai visage.

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Ils sont invisibles mais pourtant omniprésents. Ils ont façonné le monde à leur image, excluant les autres, celles et ceux qui ne leur ressemblent pas. Ils gouvernent et protègent si bien leur empire qu’ils continuent à régner sur la planète et à promouvoir leurs intérêts. Mais ce qu’il y a de pire avec les boys clubs, c’est qu’ils ont su si bien tirer les ficelles du pouvoir qu’ils sont devenus «cette forme qu’on ne voit pas du fait qu’elle est prédominante, partout et donc nulle part». Comme une lumière si franche qu’elle finit par aveugler. Avec patience, Delvaux décrypte les codes de ces rassemblements d’hommes et nous conduit à en reconnaître les impacts, loin d’être anodins.

Il serait étonnant que les détracteurs de Delvaux aient lu le livre dans son entièreté, ou du moins sans un brin de mauvaise foi,
car il ne se veut pas un essai subjectif, mais un ouvrage documenté qui s’appuie sur de nombreuses références. Ce qui rend le travail de l’autrice admirable, c’est sa façon d’agir en éclaireuse, de mettre en lumière ce qu’on ne voit plus à force d’y être confronté chaque jour. Elle prend des exemples concrets en nommant les plus célèbres boys clubs américains, anglais, français, c’est-à-dire des cercles fermés, hiérarchisés et composés d’hommes majoritairement blancs, que l’on retrouve transposés dans les sphères du gouvernement, de l’Église, de l’armée,etc. Elle explique que, bien souvent, le pouvoir est affaire de relations, et que les femmes sont absentes des chasses gardées que représentent les boys clubs, lieux par excellence de consolidation des liens et de la reconnaissance par les pairs. Voilà pourquoi les femmes sont automatiquement absentes de la sphère décisionnelle. Le travail d’analyse de Delvaux s’avère un exercice épatant en cela qu’il montre les rouages d’une domination masculine qu’on n’ose jamais appeler par son nom.

L’homme standardisé

L’autrice investit plusieurs domaines pour démontrer que le boys club est partout et qu’il se manifeste au détriment des femmes. Il se remarque tant dans la matérialité de l’architecture, laquelle s’inspire du corps masculin, que dans la façon de gouverner de Donald Trump, qui s’arroge tous les droits sans le moindre soupçon d’illégitimité. D’office, l’être humain est un homme blanc: c’est lui qui établit la norme autour de laquelle gravitent tous les autres. Cette immodestie se décuple au contact de ses semblables, qui se réfléchissent les uns les autres dans l’infinité des miroirs.

«L’humanité est mâle et l’homme définit la femme non en soi mais relativement à lui», écrivait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe, en 1949. Delvaux accumule les exemples et débusque au cinéma et à la télévision des scènes qui rendent compte du fonctionnement sociétal érigé sur une masculinité toute-puissante. Elle revient sur les cas réels d’agressions et de viols perpétrés, qu’ils soient armes de guerre ou façons de valider sa supériorité et son adhésion au groupe fort. En nommant tout ce qui participe du boys club, Delvaux procède à un réveil brutal qui ne peut conclure qu’à un impératif besoin de changer les paradigmes. Pour ce faire, elle nous apprend à dessiller les yeux, à identifier les occurrences du boys club, à les refuser, à proposer d’autres représentations, cette fois-ci issues de la diversité; bref, à démanteler les cloisons de ces groupes d’hommes qui dictent la marche du monde. L’action se fait jusque dans la façon de répondre au discours ambiant, lequel contient les stigmates de ce pouvoir. Le langage induit une interprétation selon l’usage qu’on en fait; de même, n’est pas innocente

la voix passive qui efface la subjectivité de l’agresseur quand on parle de violence envers les femmes: ne pas dire que les femmes sont battues; puisqu’elles sont battues par des hommes, dire que des hommes les battent. […] Et ainsi, faire porter aux hommes leurs responsabilités.

Suivant cette rhétorique, l’autrice, pour parler de celles qui subissent les violences et les inégalités, décide d’aller à la source en dénonçant la cause, c’est-à-dire le système des oppresseurs. Une démarche qui incarne un risque: celui qu’encourt toute pensée allant à l’encontre de la parole dominante. Delvaux possède l’intégrité de la chercheuse et un esprit doué pour la clairvoyance. En remettant en question les paradigmes introduits dans notre société depuis des siècles par le boys club, c’est à l’ouverture d’autres possibles qu’elle nous convie, à une réinvention des liens entre humains qui ne se définiraient plus en fonction de rapports de force, mais d’échanges au sein desquels chacun·e aurait droit de porter sa voix. En ce sens, la publication de ce livre apparaît non seulement comme une réflexion importante, mais comme un véritable acte de résistance.

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Article au format PDF
Martine Delvaux
Montréal, Remue-Ménage
2019, 232 p., 20.95 $