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Les gros sabots

Bel objet élégamment réalisé, L’atelier suscite malheureusement trop peu d’intérêt pour devenir un incontournable du genre.

Beau livre

Bel objet élégamment réalisé, L’atelier suscite malheureusement trop peu d’intérêt pour devenir un incontournable du genre.

C’est banal de le dire, mais l’atelier de l’artiste appelle dans l’imaginaire des néophytes aussi bien que dans celui des connaisseur·ses de nombreuses métaphores. Ces images s’effritent et perdent leur pouvoir de suggestion, bien qu’elles n’en soient pas moins vraies: l’atelier est tantôt un refuge, tantôt une chambre à soi; il incarne à la fois une pépinière de talents et un lieu de rencontres où l’on réinvente le monde. Sobrement intitulée L’atelier, la plus récente offrande du peintre et écrivain Marc Séguin, publiée par les éditions Fides, propose également une définition de cet espace cultissime.

Faux pas

Fait d’une reliure caisson, doté d’un marque-page noir en toile et d’une tranchefile de la même couleur, le livre a une jolie facture. La mise en page classique offre une grande variété d’images. Le calibrage des photographies, bien exécuté, présente un rendu agréable sur le papier mat. Si ce n’était du choix de la fonte du texte, qui tente d’imiter une écriture dactylographiée, le tout donnerait un résultat plutôt élégant et sans bavure. L’image des première et quatrième de couverture, très foncée, embrouille l’œil. S’agit-il de l’épiderme du peintre ou de la surface texturée d’une de ses toiles? Un rouge sang trace le nom de l’artiste, tandis que le titre, en lettres carrées, est d’un blanc clair et franc. Veut-on ici nous suggérer la profonde influence d’un atelier sur «l’étrange état d’artiste»? La peau, le sang, l’art, l’atelier, vous voyez le genre?

Les photos qui introduisent l’ouvrage nous ramènent heureusement à quelque chose de beaucoup plus terre à terre et à une image moins cliché de l’âme torturée du créateur. À l’intérieur, cependant, rien de nouveau concernant le contenu des photographies: elles participent à l’inventaire visuel de ce à quoi peut ressembler la vie d’un peintre dans son antre. On y voit Séguin au travail, des tableaux en cours ou terminés, des amoncellements de pots de peinture et de pinceaux, des livres qui traînent sur une table. Cela peut vite devenir redondant si les lecteur·rices ne sont pas friand·es de l’œuvre du principal intéressé. Toutefois, la passion de Séguin pour son potager, son érablière et la chasse montrent un éventail plus large de son univers. Il y a occasionnellement de beaux appels entre les pages: une peinture qui répond à un paysage; un paysage, à un texte. C’est ce qui sauve d’emblée le livre.

Entre les érables et le potager

Pour faire office de liant entre les espaces de création de Brooklyn et de L’Isle-aux-Grues, un texte de Séguin file sur plus de deux cents pages. À la fois carnet et chronique, l’auteur y parle de son quotidien, lance quelques pointes contre le marché de l’art, l’économie et, à l’instar de Joan Miró, «pense son atelier comme à un potager où les choses suivent leur cours naturel». À d’autres moments, Séguin se sent l’âme chevaleresque et suit les conseils de Francis Ponge: il ouvre son «atelier, et y prend en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient». Deux versants d’un même discours; celui-là assez pauvre en arguments, d’une philosophie creuse et simpliste basée sur son expérience personnelle. Je comprends l’essence du carnet ou du billet d’humeur: c’est à chaud. Même si je n’ai éprouvé aucun déplaisir à lire ce texte, je vois mal comment il s’intègre bien au projet.

Séguin est loin d’un Patrice de La Tour du Pin dans sa tour d’ivoire. Ses attaques contre le système et son empathie (cachée sous un voile juvénile de cynisme) révèlent un citoyen qui voit la grande marche du monde prendre parfois le dessus sur nos vies. C’est ce qu’on aime de sa personnalité: il est fonceur, il n’a pas la langue dans sa poche, il incarne une sorte de figure québécoise d’authenticité qui fend le paysage et se bat contre Goliath. Cela dit, Séguin ne dit rien de neuf sur le marché de l’art ni sur sa pratique. Il peine à décrire ce qu’est la création pour lui. Il n’arrive pas à cerner pourquoi un tableau s’impose ou non et parvient difficilement à nous faire comprendre ce qu’il vit lorsqu’il peint. Je ne doute pas de l’engagement de l’artiste envers son œuvre et la société qui lui permet de l’exercer, mais l’ouvrage reste selon moi un livre centré autour d’une personnalité connue et dédié à un public généraliste. Il n’apporte pas beaucoup d’eau au moulin.

Les artistes ne sont pas toujours les mieux placé·es pour parler de leur travail. Plusieurs, comme Séguin, ne sont jamais aussi vrai·es et intéressant·es que lorsqu’ils et elles écrivent à propos de leur potager.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Marc Séguin
Montréal, Fides
2021, 300 p., 69.95 $