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Les gens sur la photo

Malgré des textes assez conformes et manquant de relief, le troisième ouvrage sur le travail de ce grand photographe demeure indispensable.

Beau livre

Malgré des textes assez conformes et manquant de relief, le troisième ouvrage sur le travail de ce grand photographe demeure indispensable.

Voilà un peu plus de deux ans que débutait l’exposition Gabor Szilasi. Le monde de l’art à Montréal, 1960-1980, en décembre2017, pour être plus exact. Le Musée McCord, en collaboration avec McGill-Queen’s University Press, fait paraître aujourd’hui une publication portant le même titre, qui prolonge le plaisir de cette curiosité qu’incarnait l’exposition, logée au deuxième étage de l’établissement sis rue Sherbrooke.

D’emblée, il faut l’admettre: si le nom du talentueux photographe n’était pas lié au projet, le degré d’excitation peinerait à grimper. Assister à un vernissage est parfois déjà assez pénible en soi pour que l’envie d’en contempler des photos s’avère nulle. Encore que l’époque du corpus, marquée par des bouleversements sociaux liés à la Révolution tranquille et par un puissant bouillonnement culturel, peut raviver l’intérêt de plusieurs, puisque l’histoire de l’art québécois et ses participants défilent devant nous: Guido Molinari, Rita Letendre, Alanis Obomsawin ou encore Armand Vaillancourt, pour ne nommer que ceux-là. Mais c’est l’œil de Szilasi qui sauve tout en faisant de la publication historico-archivistique un tantinet nichée une œuvre de photographie à part entière.

Au fil du temps

Cartonnées, les première et quatrième de couverture, au fini légèrement lustré, présentent des planches contacts sur lesquelles deux clichés sont entourés d’un trait rouge. Il en sera ainsi pour les sept premières pages, qui introduisent le livre, et des trois dernières, suggérant, comme l’écrit la fille du photographe, Andrea Szilasi: «[S]ur les planches contacts, le temps l’emporte sur le sujet.»

Cette couverture, d’ailleurs, aux dimensions plus grandes que les pages intérieures, fait penser à un portfolio ou à un cartable d’écolier dans lequel l’artiste aurait placé ses œuvres. À l’intérieur, le fond est noir et griffé, aux coins du livre, par le nom du photographe, au lettrage d’un blanc franc. Le contraste offre un bel effet et est non dépourvu de charme. Je n’arrive pas vraiment à trouver une justification à cette couverture surdimensionnée, sinon que le nom, peu importe la page que l’on tourne, apparaît autour de la photo, comme s’il continuait de résonner dans la galerie: «[I]l est au centre de tout et relié à tout le monde autour», comme l’affirme Andrea à propos de son père.

La mise en page présente quelques défauts qui, s’ils ne sont pas dramatiques, agacent néanmoins. Les marges des textes sont très étroites, et la taille des légendes, situées en haut de chaque image, trop grosse. Peccadilles, j’en conviens, mais elles affectent la finesse de l’ouvrage. En revanche, le rythme est bon et cadencé par des photos — occupant généralement la moitié d’une page —
qui, comme le souligne très justement la conservatrice Zoë Tousignant, «captent les étranges moments de mimétisme entre le spectateur et l’œuvre d’art». Tout le talent de Szilasi réside dans la prise de ces instants. Il ne s’agit pas d’exécuter de simples portraits, mais plutôt de montrer l’éloquence d’un événement, d’une rencontre, du quotidien, éléments qui justifient pourquoi Szilasi a choisi cette discipline.

Le texte de Zoë Tousignant, axé sur le corpus photographique de Szilasi (contenant près de trois mille six cents négatifs), analyse «l’inventaire des contextes» des expositions au Québec et leur passage de lieux privés à des instituts muséaux et aux premiers centres d’artistes autogérés du Canada. La contribution de l’historienne de la photographie Martha Langford me semble empruntée. Je comprends que le «processus muséologique» ouvre sa réflexion; pourtant, je trouve irritante cette manie de s’emparer du travail d’un artiste et de lui faire dire tout et n’importe quoi. Je ne suis pas contre l’idée (l’auteur est mort, comme disait l’autre), mais je ne crois pas qu’examiner le travail de Szilasi à l’aune des théories d’Erving Goffman soit si probant. Au début, je dois admettre que le texte d’Andrea Szilasi m’est apparu un peu mièvre et entaché par un sentimentalisme légèrement échevelé, bien qu’après relecture, je le trouve beaucoup plus près de la démarche de son père, plus direct, puisqu’elle est aussi nourrie par l’amour des gens. Je ne veux pas opposer les deux textes — il est d’ailleurs judicieux de les avoir pratiquement juxtaposés—; je crois néanmoins que la contribution de Langford ne se tient pas derrière celui de Szilasi. C’est le droit de l’historienne de procéder (admirablement bien, cela dit) comme elle le fait, sauf que pour ma part, malheureusement, sa méthode rime avec ennui. Ce segment de l’ouvrage est par conséquent beaucoup moins inspiré.

Quoi qu’il en soit, après la lecture de l’ouvrage, le travail de Szilasi demeure en mémoire. Une pensée me vient: pour ce dernier, prendre une photo, c’est continuer la conversation.

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Gabor Szilasi
Montréal, Musée McCord/McGill-Queen's University Press
2019, 160 p., 39.95 $