Aller au contenu principal

Les dessous d’une industrie stigmatisée

Les dessous d’une industrie stigmatisée

Pornodyssée propose, à travers des rencontres humaines, le portrait d’une industrie controversée qui fait autant l’objet de préjugés que de débats éthiques et politiques.

Essai

Pornodyssée propose, à travers des rencontres humaines, le portrait d’une industrie controversée qui fait autant l’objet de préjugés que de débats éthiques et politiques.

Dans une entrevue à l’émission de radio de Pénélope McQuade, on demandait à Jean-Marc Beausoleil, avec un ton qui dénotait du scepticisme, si son livre ne véhiculait pas une vision rose de la pornographie. La série de portraits qui composent l’essai – des camgirls terminant des thèses de doctorat, des producteurs au portefeuille florissant, des performeuses reconnues aux quatre coins de la province qui font quotidiennement du sport – montre en effet qu’il est possible de trouver son compte et de s’épanouir dans ce milieu. Ce reportage littéraire s’avère toutefois, à plusieurs égards, peu réjouissant.

Terminer sa période Bukowski

Quiconque concevant la pornographie comme le point de départ d’une descente aux enfers, quiconque imaginant la travailleuse du sexe lambda comme une toxicomane vulnérable récemment sortie d’un centre jeunesse, quiconque associant toute commercialisation de la sexualité à une forme d’exploitation plus répréhensible que les autres verra ses préjugés déconstruits. À la rencontre de différent·es acteur·rices de l’industrie pornographique québécoise, on découvre plusieurs existences qui dégagent une grande impression de «normalité»: un caméraman portraiture des passant·es dans son carnet de croquis; une performeuse fait des allers-retours quotidiens entre les bars montréalais et la maison des Laurentides qu’elle partage avec son amoureux. Il n’y a pas que du spectaculaire ou du glauque dans le monde des pornstars; il y a aussi du banal, du routinier. L’essayiste estime que beaucoup de personnes vivant de la pornographie sont «des gens comme les autres», avec des préoccupations en rien extravagantes: arriver à économiser, trouver un confort matériel minimal et un emploi valorisant.

Persiste toutefois dans l’écriture une certaine condescendance qui entache l’empathie que l’auteur cherche à entretenir par rapport à son sujet. Il s’étonne qu’un intervenant lui donne rendez-vous «au Solid Gold ou au McDo du métro Atwater – Quel choix d’endroits! Et ça lui est venu spontanément!»; il insiste sur «les bébelles et les cossins» jonchant la maison d’une travailleuse interviewée, sur «le regard cerné» et «l’aura d’outre-tombe» d’une performeuse de vingt ans. Ces remarques ne sont que des détails, mais elles nourrissent le rapport d’altérité. Elles suggèrent que les pornstars, si professionnelle soit leur démarche, n’appartiennent pas à la même classe culturelle que Beausoleil ni à celle du lectorat potentiel de son livre. L’ouvrage s’achève sur un chapitre intitulé «Moi aussi», dans lequel l’auteur évoque des violences intimes vécues dans l’enfance. Il conclut: «Dans le fond, je suis passé près des destins de Guillaume et de Mam Steel.» Or, cette recherche de réciprocité ne transparaît pas dans le reste de Pornodyssée, dont la perspective déployée semble surtout être celle d’un «amoureux de pin-ups devenu écrivain après avoir lu Miller et Bukowski» et qui s’aventure, en touriste, dans le monde des bars de danseuses et des vidéos de pénétration.

Le sexe dans un monde en déclin

La brillante préface de Mélodie Nelson constitue sans doute l’un des éléments les plus forts de l’ouvrage, tant par son style que par sa portée critique. L’écrivaine y parle de son passé d’escorte et de camgirl, du deuil qu’elle a vécu en arrêtant de pratiquer ces métiers. Elle dénonce les stigmates dont sont victimes celles et ceux (surtout celles) qui choisissent de faire du sexe leur gagne-pain et elle démonte l’hypocrisie «des personnes qui préfèrent voir la pornographie comme le signe de la fin du monde (alors que tout le monde devrait deviner que c’est en fait la barbe à papa à saveur de Red Bull la preuve ultime de la détresse humaine)». Ce sont de tels paradoxes et relents pernicieux de bien-pensance qu’invite à remettre en doute la démarche de Beausoleil, mais la série d’entretiens autour desquels il construit son essai prend une forme essentiellement énumérative et elle ne débouche pas sur la réflexion plus substantielle qui aurait mérité d’être menée. Le reportage s’achève sur une ambiance presque apocalyptique: les membres d’une équipe de tournage à Los Angeles voient tomber une pluie de cendres causée par des feux de forêt à proximité. Ils doivent alors «choisir entre continuer à tourner du porno parce que nous allons tous y passer alors aussi bien s’amuser, ou bien s’arrêter pour lutter contre les flammes». On ne saisit pas trop ce que ce dilemme sous-tend. Peut-être parce que le panorama que dresse Beausoleil nourrit davantage la curiosité qu’il n’analyse réellement les rapports de force et les dynamiques sociales conditionnant le monde de la pornographie.

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF