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Le rire jaune du malade

Le docteur Alain Vadeboncœur livre ses souvenirs des urgences par des récits amusants qui font parfois grincer des dents.

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Essai

Le docteur Alain Vadeboncœur livre ses souvenirs des urgences par des récits amusants qui font parfois grincer des dents.

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« Le malade prend l’avis du médecin, le médecin prend la vie du malade. » Le calembour de Molière sied au système de santé québécois, où semble-t-il, pour bien soigner le malade, il faut surtout dorloter ses médecins. La salle d’urgence étant le parfait microcosme pour aborder tout ce qui saigne, boite, hurle et purule dans notre société, voir s’humaniser ces « demi-dieux », comme le suggère Simon-Olivier Fecteau en préface de ce livre, peut aider à avaler la pilule. Après Jean Désy (L’accoucheur en cuissardes, XYZ, 2015) et Jean Lemieux (Une sentinelle sur le rempart, Québec Amérique, 2018), Alain Vadeboncœur livre ses propres souvenirs de pratique à l’urgence. Le lecteur habitué à ses chroniques dans le magazine L’actualité ne sera pas dépaysé.

« Avant tout ne pas rire »

L’engagement littéraire d’Alain Vadeboncœur campe depuis un moment son œuvre du côté du bien commun. Chez Lux, ses essais ont défendu l’efficacité et la rentabilité du système de santé (Privé de soins, 2012), appelé la population à affûter son esprit critique face aux charlatanismes de toutes sortes (Désordonnances, 2017), parallèlement à la tournée « Faut qu’on se parle » (2016 ; textes publiés en 2017), destinée à sortir le Québec de son cynisme en réanimant le dialogue collectif. Malade !, quarantaine de « récits à savourer en attendant le médecin », est beaucoup plus désinvolte, tout en cherchant à « rendre […] justice le mieux possible à l’humanité de ces petites aventures étonnantes ».

Le ton du livre est donné d’emblée par l’espièglerie de sa page couverture, cette photo de remise des diplômes où pose le jeune finissant en médecine, une moitié de moustache en moins. L’humour et l’autodérision de Vadeboncœur sont connus, et ses récits sont moins destinés à la réflexion qu’à la dédramatisation d’un milieu spontanément associé aux grands malheurs de l’existence. « On a l’impression que les gens qui travaillent dans les hôpitaux ont toujours la face longue, écrit-il, mais il y a aussi de très beaux moments qui se passent dans ce milieu-là. On rigole assez souvent, comme dans n’importe quel milieu professionnel. » Certaines scènes sont effectivement irrésistibles, qu’il s’agisse de l’homme à la mâchoire décrochée, guéri par un fou rire devant un enfant emprisonné la tête dans une casserole, d’un vieillard étouffé par trois moitiés de dentiers, de patients confondant le tintement de leur pacemaker avec celui de leur air conditionné — voire des tours pendables que se jouent entre eux les médecins. Un peu à la manière des brèves de comptoir, perles du quotidien alliant comiques de situation et de langage, ces historiettes médicales amusent en soulignant l’absurde de la condition humaine.

Vadeboncœur est un excellent conteur, il sait convoquer par un « code bleu » une dizaine de professionnels dispersés sur deux étages, les rassembler en trois lignes au chevet du patient, puis faire tomber le stress par un retournement hilarant. Ses personnages, issus du réel, sont évidemment crédibles, leurs dialogues presque audibles, révélant parmi le personnel soignant une camaraderie que ne laisse pas spontanément soupçonner la hiérarchie des différents ordres professionnels.

C’est grave, docteur?

Qu’est-ce qui cloche, alors, dans ce livre? Telle est la question taraudant le lecteur qui, sans bouder son plaisir, ne pourra s’empêcher d’éprouver un malaise quand l’anecdote narguera la déontologie : quand un patient en crise de violence se trouvera maîtrisé par une infirmière lui empoignant les bourses ; quand Alexis Martin, invité à l’urgence pour documenter un projet, visitera, déguisé en médecin, un véritable malade. Qui plus est, la mort d’un homme, transporté à l’hôpital complètement gelé dans sa position assise, pourrait effectivement faire rigoler dans un film des frères Coen, mais non dans la réalité. S’il est possible de rire de tout, certains contextes appellent un minimum de sollicitude quand la personne concernée a existé — encore davantage quand elle souffre, angoisse, meurt. La notice d’avertissement, où Vadeboncœur nous assure de la pureté de ses intentions, ne dédouane pas pour autant son écriture.

Et c’est justement là où le bât blesse : ce livre, pourtant dédié aux soins et à l’humain, ne laisse pas vraiment ressentir de compassion. On imagine bien que celle-ci ait inspiré les différents gestes posés par les médecins et infirmières des récits, mais elle est peu exprimée par la narration. Le patient est présenté comme objet comique plutôt que comme sujet souffrant. Il faut peut-être n’avoir jamais été épileptique — ou n’avoir jamais connu d’épileptique — pour trouver de l’esprit à un ambulancier suggérant d’ajouter du savon à linge au malade pour une prochaine brassée.

Ce mauvais dosage entre l’amusement du médecin et la douleur du patient explique peut-être que, contrairement aux ouvrages très réussis de Désy ou de Lemieux, ce livre de Vadeboncœur, une fois refermé, ne laisse pas grand-chose d’autre qu’un vague sourire à son lecteur. Quand on sait toute la détresse et l’abandon ressentis aujourd’hui dans les salles d’urgence, cette bonne humeur n’est pas une petite victoire.♦

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Alain Vadeboncoeur
Montréal, Lux
2018, 240 p., 24.95 $