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Le mur tombé

Malgré le manque de direction, l’opuscule présente un large éventail de femmes peintres dont la découverte s’est trop fait attendre.

Beau livre

Malgré le manque de direction, l’opuscule présente un large éventail de femmes peintres dont la découverte s’est trop fait attendre.

Intervention est le titre d’une exposition qui a eu lieu à la galerie McClure en février dernier et qui rassemblait trente et une femmes peintres dont les carrières totalisent collectivement plus de soixante années de pratique. Le peintre Harold Klunder «s’est souvent demandé à quoi ressembleraient autant de femmes peintres dans un même espace»; approché par le Centre des arts visuels sis avenue Victoria à Montréal, il lui est apparu «pertinent d’allouer cet espace à cette question». Trente et une femmes que Klunder sait «particulièrement engagées dans le processus de la peinture» ont donc accepté son invitation et ont été appelées à sélectionner des œuvres dans leur corpus en vue de l’exposition. Écrit par les artistes, un texte répondant à trois questions du commissaire — soit sur l’origine de leur pratique, sur les processus de l’inspiration et sur le rôle du matériel dans leur travail — accompagne leurs œuvres respectives.

De Françoise Sullivan à Marion Wagschall, en passant par Annie Pootoogook et Rita Letendre, le catalogue reproduit donc sans surprise aucune le contenu de l’exposition. Bien sûr, bon nombre de rétrospectives font découvrir moult talents jusqu’alors inconnus et le présent ouvrage n’y fait pas défaut. Je retiendrai notamment le travail de Kathryn Bemrose, Cameron Forbes et Medrie Macphee qui épatent par leurs lignes fortes et dynamiques ainsi que par l’emploi de couleurs qui, sans être franches, ne renient pas leur puissance. Graphiquement, le livre est d’une facture simple et fonctionnelle. Deux toiles représentent chacune des artistes; l’une, en belle page (la page impaire), est de grand format, tandis que l’autre occupe la moitié de l’espace de la page paire. À proximité, le texte de l’artiste est reproduit dans les deux langues (français et anglais).

Ambivalence

Il est très difficile de prendre position face à cet objet: sa mission est vitale et nécessaire, comme le mentionne la directrice,
Natasha S. Reid, dans l’avant-propos, car «bien qu’il y ait certainement eu un progrès quant à la présence des femmes dans le monde de l’art, il serait naïf et même nuisible de suggérer que le monde de l’art est fondé sur l’équité». La publication se voudrait en quelque sorte une extension de la prise de parole effectuée dans l’espace expositionnel, une intervention au plus près de sa définition, c’est-à-dire agissant sur le déroulement de l’histoire de l’art, défiant son autorité, mais comme Harold Klunder ne se voit pas «comme un commissaire, mais comme un peintre agissant comme facilitateur, dans ce cas-ci, par l’accès à un espace partagé», il est difficile de trouver une corrélation ou une thématique qui se dégagerait de l’ensemble des œuvres et qui dépasserait le fait qu’elles ont été réalisées par des femmes. Excepté le souhait de rassembler le plus de femmes possible dans un espace — vœu assez simpliste s’il en est —, où est la chair du projet? Esthétiquement, ça va dans tous les sens, sans mise en contexte historique, sinon une courte biographie de l’artiste en fin d’ouvrage. Toutes ne manient pas le verbe avec la même aisance — ici, un travail de révision aurait probablement été nécessaire — et la brièveté des textes est parfois agaçante, on y sent la pensée arrêtée en plein élan. D’un autre point de vue, une parole se forge et gagne en force, cette parole faite par les femmes elles-mêmes, libre et sans entrave, allégée du carcan institutionnel ou patriarcal; je suis bien de l’avis de la peintre Joyce Wieland qui nous rappelle dans son texte que «peu de femmes accédaient à ce monde [de l’art] et leur esthétique était ignorée». Avec ce titre, on tente d’ajouter une pierre à l’édifice de l’équité en célébrant la peinture faite par des femmes de tous horizons et de pratiques diverses. Il est indéniable que Klunder et l’équipe de la galerie veulent bien faire, la proposition est certes pétrie de bonnes intentions, mais c’est porté par un tel amateurisme qu’on reste sceptique devant le résultat. C’est triste et dommage.

Néanmoins, la simplicité de l’ouvrage porte à croire qu’il pourrait toucher et rejoindre un public plus large. Il est alors possible de croire qu’il agira sur le grand mur de l’art au masculin en y faisant une brèche. Il faudra ensuite abattre le mur. ♦

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Harold Klunder
Montréal, Centre des arts visuels / Galerie McClure
2018, 80 p., 27.95 $