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Le monde au-delà du colonialisme

Le monde au-delà du colonialisme

Politiquement et culturellement, il existe une tendance à regarder le monde sous l’axe Orient-Occident. Or, de nombreuses populations ont essayé de briser ces préconceptions après la Deuxième Guerre mondiale.

Essai historique

Politiquement et culturellement, il existe une tendance à regarder le monde sous l’axe Orient-Occident. Or, de nombreuses populations ont essayé de briser ces préconceptions après la Deuxième Guerre mondiale.

Étudier l’histoire du XXe siècle à partir de celle de l’affranchissement des peuples colonisés et peu intéressés à entrer dans les modèles capitalistes/communistes qui ont longtemps dominé notre monde est un défi colossal. Il faut aller au-delà de nombreux préjugés face aux pays dits du tiers-monde, véhiculés entre autres par les sources écrites comme les journaux, ou même les émissions de radio et de télévision.

C’est à cette histoire riche et alambiquée que s’est attardé Vijay Prashad, directeur des études internationales au Trinity College au Connecticut et dont la recherche de près de 400 pages, traduite par Marianne Champagne, vient d’être mise à jour et rééditée aux éditions Écosociété. Le résultat de cette longue enquête sur l’histoire politique de pays de l’Amérique du Sud, du Moyen-Orient, de l’Afrique et du continent asiatique est une mosaïque idéologique, culturelle, économique et politique qui tend un miroir vers des nations trop souvent oubliées.

Se libérer du passé colonial

Pour bien faire comprendre ce qui a mené à l’émergence du concept même de tiers-monde, l’auteur s’attaque d’entrée de jeu aux facteurs qui lui ont donné naissance, qui ont de ce fait placé certains pays en dehors de l’axe Est/Ouest qui a dominé le monde à partir des guerres mondiales. Nous découvrons ensuite un autre cas sombre de répression des libertés d’un peuple à travers celui de l’Algérie et des réflexions politiques que cette guerre violente a engendrées en France. C’est donc à l’aube des années 1950, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, qu’est née l’idée des trois mondes. Les pays intéressés ni par le capitalisme, ni par le communisme, par volonté ou par manque de moyens, entraient dans la catégorie du « tiers-monde ». Ainsi se dessina un concept flou, péjoratif et non représentatif de la diversité culturelle, sociale, politique, religieuse et économique du monde.

L’auteur nous démontre ensuite comment ces nombreux pays laissés pour compte ont décidé de se libérer de l’ancien joug colonial, afin de développer leur propre programme politique. Pour ce faire, ces pays devaient se faire entendre, et c’est à travers les conférences de ces nations « non alignées », soit en dehors des rivalités entre les pays occidentaux et ceux rattachés au communisme, que Vijay Prashad nous invite à voir l’évolution des politiques mises en place par ces nations, leurs succès et leurs échecs.

Les obstacles d’un grand projet politique

Alors que le premier chapitre nous fait réaliser à quel point nous ignorons les idées et les plans mis en place par une vaste coalition de populations qui souhaitaient transformer le mépris postcolonial en une meilleure collaboration mondiale, le deuxième nous plonge quant à lui dans les écueils qui ont nui à la réalisation des nombreux projets rêvés lors des conférences internationales.

Si plusieurs pays du tiers-monde ont eu de grands leaders à leur tête après la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs hommes politiques et de nombreuses règles internes et externes ont limité leur possibilité d’action. Les coups d’État soutenus par les Américains ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres. Dans cette optique, l’auteur ne pouvait passer sous silence le symbole qu’est devenu Ernesto Che Guevara dans ces luttes anticoloniales. Même cet idéaliste rêveur voyait les obstacles qui empêchaient une véritable libération des pays « non alignés ».

Guevara ne put assister à la rencontre, ayant quitté Cuba pour l’Afrique où il envisageait de s’unir aux mouvements révolutionnaires du Congo. Dans une lettre adressée à la Tricontinentale, il abordait la question cruciale : que valait donc la solidarité si l’on ne bravait pas les armes de l’impérialisme ?

Aux yeux de Vijay Prashad, l’un des problèmes majeurs qui ont empêché une véritable libération de ces nations a été de négliger le rôle du petit peuple dans la construction d’un pays indépendant. En l’éloignant de la politique après son engagement aux conséquences parfois funestes, dans des guerres d’indépendance, les chefs d’État ont ouvert la voie à la désillusion et aux rébellions internes. La solution a souvent été la mise en place d’États à parti unique et l’utilisation de l’armée comme gardienne de l’ordre social.

Cet essai est un véritable mastodonte d’informations sur la réalité d’une partie du monde que nous avons trop souvent négligée dans les livres d’histoire et dans les bases des relations internationales. Il fait certainement partie des ouvrages de référence incontournables pour quiconque s’intéresse à cette histoire complexe. La structure, très lourde tant du point de vue du vocabulaire que de la densité du contenu, nuit toutefois à la compréhension globale du sujet. Bien que l’auteur nous explique les origines du tiers-monde dès le début de l’ouvrage, la division de celui-ci nous fait faire tant d’allers-retours dans le temps et l’espace qu’il est difficile de suivre le fil conducteur. Un livre qui mérite d’être lu avec son ordinateur et un accès aux grandes encyclopédies pour bien en saisir toutes les nuances. ♦

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Article au format PDF
Vijay Prashad
Marianne Champagne
Montréal, Écosociété
2019, 400 p., 30.00 $