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Le détail qui tue

Décalé, absurde et multiréférentiel, l’humour parfaitement calibré de Cathon frappe dans le mille avec Les ananas de la colère. Explosions de rires garanties à la lecture de son dernier album.

Bande dessinée

Décalé, absurde et multiréférentiel, l’humour parfaitement calibré de Cathon frappe dans le mille avec Les ananas de la colère. Explosions de rires garanties à la lecture de son dernier album.

Se déroulant dans un univers tiki parallèle, où de braves Trifluviens portent de petits chapeaux melons et des chemises aux motifs tropicaux, Les ananas de la colère présente l’enquête de Marie-Pomme Plourde, jeune barmaid avide des romans policiers qui mettent en vedette la célèbre détective Shirley McSnuffles. Lorsqu’elle découvre que sa voisine de palier, Bonnie Lavallée, est morte de manière suspecte, et devant la flemmardise du seul policier en poste durant la fin de semaine, la jeune héroïne décide de mener l’enquête, allant jusqu’à se mettre en danger pour le bien de la justice. Avec une intrigue qui parodie les traductions françaises des romans d’Agatha Christie, Cathon mène avec adresse un hommage hilarant aux «lectures d’été» et aux élans bovarystes qui en découlent.

Décalage référentiel et cocktail tiki

La pléthore de références que manie Cathon place le lecteur dans un décalage de codes des littératures de genre, particulièrement des romans policiers et d’aventures. Dans le sillage de son précédent album chez Pow Pow — Les cousines vampires, scénarisé avec Alexandre Fontaine Rousseau — Cathon revisite avec amour des archétypes littéraires avec, par exemple, une héroïne candide et pure qui fraye dans les bas-quartiers de Trois-Rivières pour mener son enquête. D’emblée, donc, Les ananas de la colère préconise une lecture avec recul, ironie, vis-à-vis des détails incongrus qui parsèment de trop nombreuses productions livresques — détails pour lesquels on éprouve souvent une affection teintée d’aversion, aussi forte qu’irrationnelle. Qui n’a pas, par exemple, nourri une telle ambivalence à l’égard de Miss Marple, vieille fatigante qui a toujours raison? Et que dire des interminables discours des master villains qui expliquent avec une minutie maniaque leur plan tordu et alambiqué pour parvenir à leurs fins diaboliques? Voulons-nous vraiment qu’ils se terminent? Qu’ils se prolongent? Je ne pourrais trancher.

Dans Les ananas de la colère, Cathon représente ce dilemme de façon délirante et nous invite à revisiter nos souvenirs de lecture. Car c’est un fait, l’autrice détient un talent particulier et indéniable pour trouver le détail, dans l’image ou dans la narration, qui vient contrebalancer les codes des littératures de genre et nous faire pouffer de rire.

Un style affirmé

La signature graphique de Cathon, toute en souplesse, incarne ce regard amoureusement amusé qu’elle pose sur des motifs littéraires désuets. Les ananas de la colère revêt l’élégance caractéristique du style de l’autrice, qui a développé un trait coquet tout en rondeur. Si l’album n’est pas imprimé en couleur (tel que prévu au départ), on n’a pas moins l’impression d’être transporté dans un univers tropical. Même, ce choix du noir et blanc ajoute un ton un peu plus dramatique, voire hitchcockien, contrastant avantageusement avec la teneur humoristique de l’intrigue. Le récit, rythmé par des cadrages cinématographiques qui resserrent l’action, n’admet pas de temps morts, et ce, malgré l’abondance d’incartades narratives à l’enquête de l’héroïne, les nombreuses précisions disséminées en alternance avec l’histoire principale. Par leur inutilité dans l’économie de l’intrigue, ces digressions prennent toute leur importance dans l’univers cathonicien. Je pense entre autres aux éléments utilisés dans les portraits présentant les personnages, à la sonnerie en bruits de poisson («blup blup blup flap flap flap») du cadran de Marie-Pomme, ou encore aux adjectifs choisis dans les dialogues entre les protagonistes, que j’ose qualifier de «délicieux». À la fois fripons et réfléchis, ces détails participent à la construction d’un album hilarant, sans l’essouffler.

Ce plus récent album de Cathon, s’il s’inscrit dans la continuité de son humour caractéristique, me semble déployer avec encore plus de générosité sa maîtrise toute bédéistique de la narration et des codes des littératures de genre. Cathon se permet de titiller son lectorat avec un humour loufoque qui se joue du trivial sous le couvert d’une enquête policière, enquête menée par ailleurs avec grand sérieux par Marie-Pomme. Dans la veine de La liste des choses qui existent (coécrit avec Iris et publié à La Pastèque), Les ananas de la colère met à mal le pragmatisme et la logique pour faire ressortir l’absurde inhérent à plusieurs — voire même, selon notre degré de cynisme, à toutes les — situations de la vie. Il fallait peut-être s’y attendre, mais Cathon réussit une nouvelle fois à créer un album hilarant, intelligemment niaiseux.

L’arme du crime? Un cocktail dangereusement calibré. ♦

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Cathon
Montréal, Pow Pow
2018, 136 p., 24.95 $